Covid-19: Complotisme à tous les Etages

Si je m’écoutais, je dirais que le Coronavirus est un complot de complotistes.

S’il est vrai que les thèses conspirationnistes en tout genre ne se sont jamais aussi bien portées, on relevait tout de même une tendance à leur dispersion: bien sûr il y avait les attentats islamistes – commandités « en réalité » par la CIA, le Mossad, voire les deux. Ou Greta Thunberg, marionnette d’une obscure organisation dont on peine à comprendre les ramifications – c’est bien la preuve qu’elle est obscure. Bien sûr encore Emmanuel Macron téléguidé par Goldman Sachs, lui-même téléguidant tous les médias français qui ont l’heur de déplaire à Jean-Luc Mélenchon et/ou Marine Le Pen, c’est-à-dire la plupart sinon la totalité d’entre eux. Ou, de l’autre côté de la Méditerranée, les malheurs passés, présents et futurs du peuple algérien orchestrés tour à tour par la France, le Maroc, les Etats-Unis ou Israël, séparément ou par deux ou trois, ça dépend. Ou bien, enfin, plus à l’ouest, la coalition réunissant les liberals de Washington, New York et San Francisco, les LGBT+, les Noirs, les Latinos, les féministes, le New York Times, le Washington Post et CNN afin d’accabler l’homme blanc du Mid-West passionné d’armes à feu et de Jésus-Christ. Mais tout ça manquait un petit peu de liant, notamment au niveau international, comme naguère la « vérité » sur les attentats du 11 Septembre 2001 ou sur la mission Apollo XI.

Mais là, avec le Covid-19, on a du lourd: un truc venu de Chine qui se répand dans 188 pays sur les cinq continents en quelques semaines, qui mène un quart de l’humanité ou presque au confinement, qui met à plat l’économie mondiale et questionne sérieusement son modèle de développement, une pandémie dont personne ne voit la fin à ce jour… Soudaineté, zones d’ombre encore nombreuses, sentiment d’impuissance, impact mondial: quatre ingrédients essentiels d’une bonne séquence « hmmmm-à-qui-ça-peut-bien-profiter-tout-ce-truc-on-nous-cache-quelque-chose » sont réunis.

Corona

Photo de l’auteur, illustration qui n’a rien à voir avec le sujet. Quoique.

Alors on a la théorie d’un virus sorti d’un laboratoire tour à tour Américain ou Chinois – pas de Juifs encore impliqués, à l’heure où j’écris, en tout cas pas à ma connaissance, mais il ne m’étonnerait pas que dans les rues du Caire ou de Beyrouth on n’évoquât déjà quelque plan diabolique du Mossad – histoire d’une créature ayant échappé à ses créateurs, tel le monstre au docteur Frankenstein ou Jacques Chirac à Pierre Juillet et Marie-France Garaud. Cette histoire, ainsi que d’autres du même tonneau, a ses adeptes, et voilà les diffuseurs de « vérités-qu’on-nous-cache » enfin remis en selle de par le monde, s’alimentant les uns les autres de « preuves », comme aux bons vieux temps post-11 Septembre. En mode local, à Marseille une sardine a bloqué le Vieux-Port: un brillant docteur un peu bab’ mais avide de notoriété, après avoir clamé que le Coronavirus finalement ce n’était pas grand-chose, affirme qu’il est un remède pas cher à cette maladie, l’hydroxychloroquine. Les résultats d’études qu’il brandit pour défendre son point de vue ne sont pas vraiment pris au sérieux par les autorités, médicales ou autres? C’est bien la preuve qu’il a raison, le docteur Raoult … Labo militaire irresponsable ou protocoles de recherche officiels, c’est bien des pouvoirs qu’il faudrait toujours se méfier.

Les pouvoirs… Avec le Covid-19, bien sûr, de même que  le 11 Septembre avait beaucoup à voir avec l’action d’un Etat – la politique étrangère des Etats-Unis – les puissants ne sont pas pour rien dans la catastrophe. Ainsi les autorités de Pékin ont-elles tenté durant plusieurs semaines de minimiser l’ampleur de l’épidémie, tardant à prendre les nécessaires mesures de confinement. Ainsi l’OMS (aussi efficace sur la gouvernance de la santé publique mondiale que ne l’est le Conseil de Sécurité sur la prévention des conflits armés) a-t’elle tardé à déclarer l’état de pandémie, ignorant les alertes lancées par Taiwan dès le mois de décembre. Ainsi la Maison-Blanche a-t’elle abreuvé les Américains de discours lénifiants durant des semaines. Tous ces manquements ont, à n’en pas douter, favorisé la diffusion du virus. Et on peut remarquer que ces loupés ont en commun un mélange de défiance et de peur:

  • Défiance des autorités locales de Wuhan à l’égard de messages alarmistes émis dès début décembre par des médecins locaux, peur de se voir sanctionner par les autorités centrales du Parti pour avoir « brisé l’harmonie »,
  • défiance de l’OMS à l’égard d’informations venues de Taiwan (l’île a été exclue des instances de l’ONU à la demande de Pékin), peur de contrarier la Chine Populaire, contributeur majeur au budget de l’organisation en ces temps de retrait américain,
  • défiance de Trump à l’égard d’alertes venant de l’étranger – rien d’extérieur  ne saurait affecter la « grande » Amérique – et peur de briser l’enthousiasme de la masse de ses électeurs, donc la possibilité de sa ré-élection en Novembre prochain.

Or défiance et peur sont des ingrédients essentiels du complotisme: tout se passe comme si, en certaines circonstances, les lieux de pouvoir se comportaient comme des individus mal informés, mûs par l’histoire à laquelle ils ont envie de croire car elle conforte leurs préjugés et/ou leurs aspirations les plus profondes. De même que l’atomisation du débat public dans les sociétés favorise la prolifération de « vérités » invérifées, invérifiables et saugrenues, l’effacement du multi-latéralisme sur la scène diplomatique renvoie-t’elle les pouvoirs à certains de leurs tropismes – le totalitarisme politique en Chine (« l’harmonie » à tout prix), une logique d’appareil auto-centrée pour l’OMS (le consensus à tout prix), le cynisme aux Etats-Unis (la ré-élection à tout prix) – et les détournant des faits, dès lors qu’ils ne vont pas dans le sens de leurs histoires respectives.

L’irruption du Covid-19, c’est la mise en abîme de « faits alternatifs »: à une foule complotiste, hyper-connectée et prête à se jeter sur le moindre étai de sa paranoïa, répond le désarroi de pouvoirs cherchant à (se) rassurer. « Ils se mentent, donc ils nous mentent ». Et si on avait voulu – grand rêve des complotistes – lever un voile définitif sur la fausseté de la parole « d’en haut », on aurait balancé dans les pattes des puissants une pandémie fulgurante qui les aurait plongés initialement dans un état de sidération et d’inefficience. Puis, une fois passé cet état initial, leur parole se serait démonétisée d’elle-même face à la gravité des faits et aux dégâts causés sur la vie de tout un chacun – en partie par leur faute.

Bref, si le Covid-19 était un complot, ce serait un complot de complotistes. Toujours chercher à qui le crime profite, moi je dirais. Si je m’écoutais.

Prenez soin de vous,

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