Le Brexit, c’est un colocataire radin qui finit par quitter l’appartement mais qui veut en garder une clé. Et, surtout, en laissant un bordel monstre.
Car ce qui reste, en Europe, des presque cinquante années du séjour de la Grande-Bretagne, c’est un double héritage – politique et idéologique – rien moins que désastreux. Côté politique, il y a cette impuissance organisée, ces institutions-usines à gaz sans contrôle démocratique ou presque, tous les inconvénients de la supra-nationalité sans les avantages potentiels – et on sait que la Grande-Bretagne a constamment freiné des quatre fers toute tentative d’union politique, tandis qu’elle soutint activement les élargissements successifs. Et puis il y a le legs idéologique, encore plus lourd de conséquences: pour faire court, l’effacement de la puissance publique dans la sphère économique érigé en dogme d’une part, la sanctification de la concurrence et du libre-échange, d’autre part.
C’est bien au nom de cette idéologie que le gouvernement français entreprend sa réforme de la SNCF: l’ « évidente nécessité », c’est l’ouverture du chemin de fer à la concurrence, l’ « évidente nécessité », c’est la réduction de la dépense publique. Peu importe qu’outre-Manche la privatisation de British Rail se soit avérée calamiteuse – dégradation de la qualité du service, hausse des prix, la pertinence d’un tel horizon n’est pas même questionnée – peu importe qu’on ait déclaré, la main sur le coeur, lutter contre les émissions de CO2, Macron fonce, tel un canard sans tête. Bien sûr le mouvement a été amorcé bien avant son arrivée à la présidence (« embourgeoisement » du transport ferroviaire avec la politique du « tout-TGV », suppression de dessertes, bazardage du fret via une mise en concurrence dont le principal effet a été la division par deux de son activité, et, bien sûr, validation de l’ouverture à la concurrence…) et la réforme en cours n’est que l’aboutissement d’un long processus. Mais il y a comme une frénésie, une jubilation dans cette accélération du mouvement que facilite par ailleurs une opposition politique inexistante ou stérile. Derrière le ton grave de dirigeants « courageux », il y a le sourire triomphaliste, la joie à peine dissimulée de venir « enfin » à bout d’un bastion syndical (même si rien n’indique à ce jour que l’affaire soit pliée d’avance). Tant il est vrai qu’au sommet du pouvoir, en sus de la doxa néo-libérale, on affiche volontiers une pensée pseudo-managériale issue du monde des « start-up » dont la manifestation la plus saillante est la fameuse « disruption » (rupture, en bon français): « disrupter », briser l’existant par « l’innovation », c’est exister, en Macronie. Et quoi de plus « disruptif » que de démanteler culturellement et structurellement un service public aussi évident, dans le paysage français, que la SNCF? Alors tout est bon: lorsqu’on veut tuer son chien, on prétend qu’il a la rage.
Il y a d’abord le coup de la dette, dont on oublie qu’elle a essentiellement pour origine les investissements tous azimuts dans le TGV et qu’on feint d’attribuer à une mauvaise gestion. Une dette de 50 milliards d’Euros, brandie comme un chiffon rouge. Contrairement à une autre dette de 50 milliards d’Euros, celle du Groupe Altice (SFR, le quotidien « Libération », entre autres) dont le dirigeant, Patrick Drahi, est sans aucun doute considéré en haut lieu comme un de ces « premiers de cordée » dont il convient de garantir la sérénité. Qu’une entreprise dont la vocation est d’assurer un service public s’endette, c’est mal, mais pourvu que sa finalité soit de distribuer des dividendes à des actionnaires, sa dette se pare de toutes les vertus ou, a minima, est censée laisser tout le monde indifférent.
Il y a surtout le coup des cheminots, ces salariés dont on voudrait faire croire, sous prétexte qu’ils bénéficient d’un certain nombre d’avantages, que ce sont des « privilégiés ». Et dont on affirme que le statut est la cause première non causée de toutes les difficultés supposées de l’entreprise. Supposées, car nonobstant les cheminots et leur si problématique statut, la SNCF affiche en 2017 un résultat net de 679 millions d’Euros, pour un chiffre d’affaires en progression de 4,2%. Seulement voilà: pas de privatisation envisageable sans, au préalable, aligner les employés de l’entreprise encore publique sur le tout-venant des entreprises privées. Car privatisation il y aura à terme, personne ne saurait en être dupe.
C’est donc avec enthousiasme que la Macronie met ses pas dans l’empreinte encore bien fraîche que le reagano-thatcherisme a laissée dans le « machin » européen. Ce pouvoir qui s’auto-proclame novateur se jette, comme la vérole sur le bas-clergé, sur de vieilles lunes – quarante ans, tout de même – libérales que l’Histoire s’est chargée de discréditer. Et si ce n’est l’Histoire, à tout le moins la conscience d’un monde aux ressources finies que menace une catastrophe climatique. Sans oublier l’éventualité d’une alternance « identitaire », tant l’idéologie néo-libérale porte la démagogie plus ou moins xénophobe comme la nuée porte l’orage – voyez Trump, Orban, Kaczynsky… Mais ça « disrupte » tant que ça peut, dans la « Start-up Nation », au risque que l’état de grâce du Président « disruptif » se transforme en état d’urgence politico-social – « on pourrait même envisager que tout nous explose à la gueule », comme le chantait Noir Désir. A court-terme, en tout cas, il n’est pas exclu que les « marcheurs » croisent une peau de banane avec cette réforme de la SNCF. C’est tout ce qu’ils méritent, vous aurez compris qu’il ne faudra pas compter sur moi pour verser des larmes.
Car le bordel monstre laissé par nos (malgré tout) amis britanniques en fermant la porte de l’Europe, il est bien temps de le nettoyer. Pour cela il conviendra, dans un premier temps, de « disrupter » les « disrupteurs ».
Ciao, belli
Approche intéressante. Quelques points : laisser croire que la privatisation de la SNCF se ferait comme en GB, c’est aller vite en besogne voire biaisé : la DB est privatisée et il y a plusieurs façons de structurer ces opérations. Btw, les chemins de fers Corses sont gérés par une Sté privée : quand il y a eu appel d’offre la SNCF n’a meme pas répondu.
Quand au trend libéral et la perte de références des états dans une machine supra nationale, oui, il y a urgence à clarifier et reconnecter les pays avec l’idée Européenne. En ce sens, qui a dit qu’il fallait tout privatiser. C’est bizarre que cela apparaisse comme une prédestination…
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Lorsque la DB a ete privatisee, l’Etat Federal l’a d’abord soulage de sa dette (il en a les moyens). Ca s’est mieux passe qu’en Grande-Bretagne, c’est vrai, et il y a surement des tas de bonnes raisons pour ca (politiques, culturelles…). Mais ca ne veut pas dire pour autant que c’etait, en soi, une necessite. Quant a la Corse, dans sa logique de rentabilite qui ne date pas d’hier, la SNCF a sans doute ete trop heureuse de se debarrasser de la patate chaude…
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