L’ambivalence d’ « Amazing Grace », ou Mickey chez Donald

Je ne sais pas vous, mais d’aussi loin que je me souvienne, le morceau « Amazing Grace » m’a toujours donné la chair de poule. Surtout lorsqu’il est joué par un « bagpipe » puissant comme le Royal Highland Fusiliers Band ou qu’il s’élève à travers la voix aérienne de Joan Baez. Tout môme, j’en ai saoulé mes parents à force de le jouer sur mon orgue électrique « Bontempi » (avec les accords et tout, si si).

Joan Baez

Et puis est venu le jour où j’en ai découvert les paroles. Un cantique. Ecrit durant la seconde moitié du XVIIIème siècle par un certain John Newton, ci-devant trafiquant d’esclaves. Son navire négrier ayant de peu échappé à un naufrage, il devint chrétien fervent,  se fit prêtre anglican, puis devint une figure de l’abolitionnisme (Wikipédia).

Amazing grace, how sweet the sound / That saved a wretch like me! /I once was lost but now I’m found / Was blind, but now, I see.

D’un coup, ça calme. En clair, « Amazing Grace » raconte l’histoire d’une conversion soudaine: John Newton, tandis que son homonyme et quasi-contemporain Isaac se ramassait une pomme sur la tête, s’est pris la foudre. L’un en déduisait les lois de la gravité, l’autre tournait cagot. Cet air, il a une gueule terrible mais tout de même, fredonner un délire de « born-again christian », quelque part ça me gratte. Cet air me fait vibrer, mais je déteste l’adorer et j’adore le détester. Comme les Etats-Unis, où « Amazing Grace » est très populaire. Comme les Etats-Unis, « Amazing Grace » est à la fois admirable et consternant, et son « soft power » a parfois la faculté d’occulter son projet hégémonique. Et parfois pas.

Cette perception ambivalente, éventuellement empreinte de contradictions, que les Européens et les autres ont souvent de la première puissance mondiale, on peut faire le pari raisonnable qu’un homme comme Emmanuel Macron la partage. Mais étant Président de la République Française et, pour le moment, sans doute la figure politique la plus saillante en Europe, on eût aimé, lors de sa visite à Washington, qu’il fasse la part des choses dans sa relation à l’Amérique. D’autant qu’à la tête des Etats-Unis se trouve actuellement le crétin le plus nuisible qu’on puisse imaginer.

Seulement voilà: Macron se voit, se vit en homme providentiel, et pas seulement pour son pays et ses concitoyens. Bien conscient du caractère dévastateur de la politique de son homologue américain, il s’est mis en tête de sauver le monde à lui tout seul. Les médias américains l’ont surnommé « the Trump whisperer », l’homme qui murmure à l’oreille de leur président. Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron prend ce surnom pour argent comptant et, de claquage de bises en époussetage de pellicules, de poignées de mains viriles en claques dans le dos, il s’est convaincu qu’il pouvait détourner Donald Trump de son agenda dévastateur – singulièrement de son idée de déchirer l’accord conclu avec l’Iran sur le nucléaire.

Et voilà « Jupiter » qui claironne que l’accord ne doit pas être rompu, mais élargi à une question plus vaste: l’influence grandissante de l’Iran au Proche-Orient (Liban, Syrie, Irak, Yemen), influence qu’il conviendrait de contenir. On croit rêver. Comme si une puissance telle que l’Iran allait accepter de discuter de la limitation de son empreinte au Moyen-Orient, en sus de ce qu’elle a déjà concédé (le monopole de l’arme atomique dans la région laissé aux Israéliens), fût-ce au bénéfice d’une vraie levée des sanctions économiques et d’une déferlante de milliards de dollars d’investissements. L’une et l’autre hypothétiques et certainement pas à effet immédiat sur, in fine, le bien-être de sa population. Et bien-être qui, soit dit en passant, n’est pas forcément la priorité numéro un de la théocratie iranienne. Comme si par ailleurs la Russie et la Chine, autres signataires de l’accord (outre la Grande-Bretagne et l’Allemagne), allaient accepter de remettre l’ouvrage sur le métier pour les beaux yeux d’Emmanuel Macron.

Et ce faisant, le président français caresse Donald Trump dans le sens du poil, le laissant dans son illusion que sa politique au Moyen-Orient, calée à 100% sur les intérêts convergents des lobbies israélien et saoudien est dotée, ne serait-ce que d’une once, de pertinence et de justesse. Robert Redford, lorsqu’il jouait le « horse whisperer », ne murmurait pas aux équidés que filer des coups de sabot à tort et à travers était une bonne idée. Un jeu dangereux, mais à quelles contorsions de l’esprit ne se livrerait-on pas pour prouver que « France is back »?
macron trumpMême si au bout du compte on se retrouve comme le gamin qui a essayé, par la flatterie, de calmer son grand frère et qui réalise que, malgré tout, celui-ci l’emmène à son plan baston. « Cause toujours, petit, la « relation spéciale », c’est que je me souviens de ton prénom et que je te donne une occasion de jouer les cadors à mes côtés. Mais je pisse plus loin que toi. »

Tu crois que Donald t’écoute, tu crois que peux jouer les Mickey? T’as qu’à croire, Emmanuel.

‘T was grace that taught my heart to fear / And grace, my fears relieved / How precious did that grace appear/The hour I first believed

Il semble bien que si « Amazing Grace » parvient aux oreilles d’Emmanuel Macron, son cerveau soit parfaitement incapable de dissocier la puissance émotionnelle de la forme de la débilité du fond. Comme il ne saurait dissocier la mise en scène de la pièce de théâtre diplomatique de Washington de l’inanité de son texte. Les limites du « en même temps », finalement.

See you, guys.

 

 

2 réflexions sur “L’ambivalence d’ « Amazing Grace », ou Mickey chez Donald

  1. « Cet air me fait vibrer, mais je déteste l’adorer et j’adore le détester. »: étonnant ! Il me fait exactement le même effet!
    Mickey n’a rien gagné et Donald va se retirer de l’accord le 12 mai. Il a eu, en plus, le culot de déclarer devant Merkel:
    « Peu importe où vous allez au Moyen-Orient, là où il y a un problème, l’Iran est là. » Ça a dû la faire se marrer, mais au moins elle a eu la décence de ne pas s’attarder à faire des pitreries aux côtés du Donald!

    J’aime

  2. Pingback: Abécédaire de Fainéant (2) | Helvetia Atao!

Laisser un commentaire