Feu l’humoriste Patrick Font, vers la fin des années 70, donnait à voir un sketch intitulé « Le candidat des cons ». Il affirmait qu’en tant que tel, il comptait « piquer autant de voix à la Droite qu’à la Gauche, ainsi que toutes les voix du Centre, car le Centre est divisé en deux : les cons de droite et les cons de gauche ». Et prétendait ne pas vouloir « le pouvoir… pour le pouvoir, mais le pouvoir… pour pouvoir pouvoir ». A l’époque, ça faisait rire.
Situation désopilante dans laquelle, nonobstant, l’électorat français s’est délibérément plongé en 2017, en posant tout en haut de sa pyramide institutionnelle le fringant Emmanuel Macron. Jeune, « bon client » des médias – suscitant la curiosité et l’intérêt des plus sérieux éditorialistes au « Monde », au « Figaro », à « Libération », les « unes » des hebdomadaires et l’irrépressible appétit pour le léchage de bottes de « Paris Match » ou des grandes chaines de télévision – il « creva l’écran » de la scène politique : une tête bien pleine comme Giscard, le bon sens près de chez vous comme Bayrou et de l’énergie à revendre comme Sarkozy ou Chirac (jeune), Emmanuel Macron était en soi une synthèse. De droite, me direz-vous, même si le mantra de l’ex-Ministre de l’Economie de François Hollande c’était le fameux « en même temps » qui le plaçait dans une position centriste. Il est clair pour tout le monde, depuis, que cet équilibre auto-proclamé n’était que de la poudre-aux-yeux et on se répète à l’envi ce bon mot de François Mitterrand : « Les centristes ne sont ni de gauche, ni de gauche ». Et puis on narre ici et là les affres des députés de « l’aile gauche du macronisme »dont la voix ne serait jamais entendue, on geint qu’il y a eu tromperie sur la marchandise. Mais ce faisant, on oublie la promesse implicite de cet « en même temps » qui, elle, a été tenue : la sortie de scène des partis dits « de gouvernement », escamotage bien plus problématique qu’une soi-disant droitisation de la feuille de route de l’exécutif.
Il faut dire que nombreux furent les gens à ne pas pleurer la quasi-disparition d’organisations à bout de souffle, entre un parti « Les Républicains » plombé par les outrances d’un Sarkozy et/ou les tartufferies d’un Fillon et un « Parti Socialiste » vidé de sa raison d’être par le quinquennat de François Hollande (Flanby le Destructeur, Avril 2018). Il y eut même quelque chose comme de la joie mauvaise au spectacle de la déroute de ces importants qui avaient à tour de rôle tenu les manettes de la Cinquième République durant des décennies. Bien fait pour leur gueule, pouvait-on se dire, bien fait pour ces structures pyramidales ridicules, avec leurs motions, leurs guerres de chefs, leurs combines. D’autant que se profilait un monde politique nouveau, avec l’ascension simultanée des « marcheurs » et des « insoumis » : un monde fait de comités locaux décentralisés d’où émergeraient, à coup sûr, des « solutions » d’autant plus judicieuses qu’elles seraient proches du « terrain » – pas comme ces choses inutiles d’une autre époque : bureaux politiques, contributions écrites, fédérations, comités d’investiture, etc… L’horizontalité, la politique au plus près des gens, la fluidité, l’agilité, voilà ce que semblait promettre le modus operandi tout à la fois d’ « En Marche » et de « La France Insoumise » durant la campagne électorale. Avec le temps, cependant, on s’est aperçu que cette horizontalité n’était, justement, qu’une manière un peu nouvelle de mener les campagnes électorales : une fois celles-ci achevées, militantes et militants, tout comme les les élu.e.s, sont prié.e.s de bien vouloir soit relayer sans chipoter les « éléments de langage » chez Macron, soit endosser sans état d’âme les stratégies politiques de Mélenchon et de la demi-douzaine de ses proches. De débat interne, chez l’un ou chez l’autre, point. Quant aux comités locaux, leurs discussions et contributions éventuelles ne sauraient troubler la quiétude des chefs et de leurs proches qui, sur un coin de table, concoctent l’avenir de 68 millions de personnes. Dès lors, lorsque les commentateurs évoquent les trois principaux pôles de la scène politique française que sont « Renaissance » (re-branding d' »En Marche »), « La France Insoumise » et le « Rassemblement National », de quoi parle-t’on? De deux fan-clubs et d’une entreprise familiale : des principales entités structurant désormais la vie démocratique en France a disparu toute forme de …démocratie.

C’est dans ce contexte qu’a été pondue une réforme des retraites mal fagotée, aucunement débattue en amont, pitoyablement défendue et massivement rejetée par l’opinion. Une réforme « nécessaire » au sens où le sont toutes les réformes censées faire battre des mains les analystes financiers et les très grands possédants rétifs à l’impôt. Une réforme passée aux forceps, en usant de tous les outils institutionnels possibles : la constitution de la Cinquième République, pensée en pleine guerre d’Algérie, ne manque pas de ressources pour un exécutif qui souhaite faire l’économie d’un débat et des compromis qui vont avec, comme on le fait dans la plupart des autres démocraties. Du coup, à l’heure où j’écris, manifestations et grèves battent son plein. A cette colère que résume tout naturellement une forte animosité à l’égard du Président, ce dernier répond qu’ayant été élu, la réforme qu’il a annoncée durant la campagne a été démocratiquement validée et que « la foule » n’a pas de légitimité. Rejouant Gabin dans « Le Président » d’Henri Verneuil (1961), Macron se lamente que « c’est une habitude bien française que de confier un mandat à des gens, puis de leur dénier le droit d’en faire usage ». Seulement voilà : si De Gaulle conçut la Cinquième République comme l’antidote à un « régime des partis » qu’il avait en horreur, paradoxalement la situation actuelle démontre que sans des partis forts, structurés, ancrés tout au long de l’année (et pas seulement en temps électoral) dans la vie de la Cité et, surtout, producteurs d’idées, la Cinquième n’apparaît que comme une autocratie élective, plus ou moins cadrée par une instance de « sages » (le Conseil Constitutionnel). Du coup, la légitimité d’un Macron qui ne rend de comptes ni ne débat avec personne – ne serait-ce que les député.e.s de son « parti », des gens qui ont aussi l’onction des urnes – apparaît comme purement formelle, en tout cas insuffisante pour que ne soient pas légitimement contestées ses décisions. Contestation légitime, mais problématique : la France de Macron, c’est l’acmé d’un régime qui, ne voulant plus être celui des partis, les a exclusivement réduits à la fonction d’écuries présidentielles et les deux meilleures « écuries » ont pris le leadership de l’opposition. Sachant qu’il y a des limites à ce que peut espérer un Mélenchon (lire Le Gros Rouge et les Petits Blancs, Janvier 2023), reste Marine Le Pen dont on se demande bien ce qui pourrait bien l’empêcher d’accéder au pouvoir en 2027.
Véritable trou noir, le Macronisme est le moment de la disparition des partis en tant que source de pensées politiques structurées et fondées sur des confrontations internes, produisant des repères dans l’espace démocratique – même si cette déliquescence a précédé 2017, singulièrement à gauche. En lieu et place, une anomie généralisée de la Cité.
Tout ça parce que le « candidat qui a piqué autant de voix à la Droite qu’à la Gauche » a cru « pouvoir pouvoir ».
Ciao, belli