Présidentielle 2022: une Gauche pour rien

« On prend des manières à quinze ans / Pis on grandit sans qu’on les perde / Ainsi moi, j’aime bien roupiller / J’peux pas travailler: / Ça m’emmerde » – Renaud, « Lézard », 1981.

Ce blog a eu quinze ans ce mois-ci (le 7 très exactement), alors un grand merci à toutes celles et tous ceux qui y laissent traîner leur regard, depuis 2007 et au delà : partez pas, ça continue!

Sollicité pour participer à la « primaire populaire », un rassemblement aléatoire en ligne d' »électeurs.trices de gauche » visant à désigner, dans quelques jours, un.e candidat.e unique pour l’élection présidentielle, Fabien Roussel, candidat du Parti Communiste, aurait répondu: « La primaire, c’est le premier tour ». On ne saurait imaginer réponse plus ouvertement et plus intrinsèquement stupide. Par définition, une élection primaire a vocation à départager des options AVANT une échéance électorale et il n’aura échappé à personne, pas même à Fabien Roussel, qu’il s’agit d’un scrutin majoritaire à deux tours où rien, mais alors rien, ne garantit la présence d’une personnalité de gauche au second. Mais si on pose l’hypothèse que Fabien Roussel n’est pas le dernier des imbéciles (c’est une hypothèse) alors cette réponse sonne comme un aveu – aveu qu’auraient également pu faire mesdames et messieurs Hidalgo, Jadot, Mélenchon et Taubira: leur participation à cette élection présidentielle n’a pas grand-chose à voir avec une quelconque aspiration à exercer la plus haute responsabilité de l’Etat français. Elle n’a pas grand-chose à voir avec la volonté d’accéder au pouvoir et de mener une politique de gauche/écologiste – en l’occurrence. Elle a en revanche beaucoup à voir avec l’envie de mesurer « en grandeur réelle » leur poids politique respectif et, partant, celui ou celle qui pourra prétendre à un « leadership ». En « grandeur réelle » car bien évidemment les sondeurs ne sauraient suffire à effectuer ce tri, tout englués qu’ils sont dans les incertitudes ontologiques de leurs méthodologies surfaites – ce qui ne les empêche pas, fainéantise des journalistes politiques aidant, de nous abreuver de discours performatifs jour après jour. Participer à une élection pour « se compter », donc, comme le font depuis des décennies les pieds nickelés trotskistes – trois sont sur les rangs cette année – et revendiquer, pour les cinq années qui viennent, une part du marché de la gauche française.

Une gauche diverse, balkanisée, polymorphe – nonobstant le partage d’une défiance vis-à-vis de la doxa néo-libérale et d’une détestation du racisme et de la xénophobie – et dont les fractures principales sont les suivantes: 1) L’importance attachée aux revendications de type « identitaire » d’une part et 2) La relation à l’économie de marché/au capitalisme d’autre part. Ces fractures, et singulièrement la seconde dès lors qu’il s’agit du scrutin national majeur, légitiment la prévalence d’une formation comme La France Insoumise, qu’elle se manifeste par son activisme parlementaire ou par le charisme de son dirigeant. Que Jean-Luc Mélenchon refuse de se dissoudre dans une « union » qui serait celle de la carpe et du lapin est parfaitement compréhensible. Dès lors la question est celle « des autres », à savoir celles et ceux qui seraient en mesure de s’accorder sur une plate-forme programmatique de nature réformiste, et ce n’est pas un gros mot. Seulement voilà: deux formations, deux histoires politiques se disputent ce « segment ». Le Parti Socialiste d’une part, Europe-Ecologie-Les Verts d’autre part. Les premiers n’assument pas d’avoir perdu leur centralité électorale à gauche, les seconds pensent les avoir remplacés. Les premiers font encore comme si, les seconds s’y voient déjà. Deux candidatures, donc. A laquelle s’ajoute celle de Christiane Taubira, sortie de son propre chapeau et comptant s’appuyer sur la « légitimité » de la « primaire populaire » évoquée plus haut, procédure hors-sol qu’aucune formation politique n’a validée, « primaire » qu’elle entend bien gagner. En admettant que tout ce beau monde puise concourir (les fameuses « 500 signatures »), il est mathématiquement impossible que l’un.e ou l’autre puisse accéder au second tour, compte tenu de la droitisation de l’électorat et d’une abstention dont bien malin qui serait en mesure de dire s’il s’agit d’un « réservoir mobilisable » et, quand bien même, pour qui. Mais toutes et tous s’en foutent, l’important c’est de participer et de « faire valoir ses idées ». Pour la gloire ou bien pour le fun, mais à coup sûr: pour rien.

Il est vrai que le présidentialisme du système français, avec le phénomène du « trou noir Macronien » qui a absorbé et éliminé, autour d’un giscardisme à la sauce Reagano-Thatchérienne, tout ou partie des structures qui animaient le débat économique et social – marginalisation des partis, des syndicats – a aujourd’hui atteint des sommets: c’est un ou une monarque que l’électorat est supposé désigner, le reste (politiques concrètes, équipes chargées de les mettre en oeuvre, priorités, ressources, alliés et acteurs mobilisables…), comme l’intendance selon De Gaulle, est sensé suivre. Au gré des humeurs, des calculs politiques dudit ou de ladite monarque, que ne sauraient vraiment importuner des ministres dispensables et des parlementaires aux ordres ou impuissant.e.s, pour la plupart. Dès lors, le scrutin présidentiel n’invite pas à envisager une quelconque collégialité: quel que soit le bord politique qu’on entend représenter c’est, par défaut, « moi d’abord ». Et pour la gauche social-démocrate-écologiste, du coup ça sera personne.

Il est vrai également que la république française est particulièrement centralisée, qu’on y cultive l’illusion qu’un appareil de pouvoir essentiellement parisien est en mesure d’agir substantiellement – tout le temps et en toute chose – sur le devenir de 67 millions d’individus répartis sur 543 940 km2. Une telle illusion ne peut que nourrir la tendance des partis à concocter des brouets à la fois très vagues et très détaillés (compte tenu de l’ampleur des problèmes à traiter), les fameux « programmes présidentiels » qui mettent le plus souvent un point d’honneur à couvrir tous les sujets avec plus ou moins de précision, de la protection sociale à la politique étrangère, en passant par l’environnement et l’éducation, la santé, etc… Bien évidemment cette exhaustivité ne peut qu’amener à constater des désaccords sur des sujets d’importance – par exemple, en l’occurence: la politique énergétique et la place du nucléaire – entre des formations qui, par ailleurs, auraient des visions communes sur d’autres sujets tout aussi importants. Mais comme cette élection à un pouvoir indécrottablement jacobin est placée sous l’illusion qu’on peut s’emparer de TOUTES les manettes, il n’y a pas de place pour imaginer une quelconque concertation préalable. Même si, dans les faits, la pratique du pouvoir et de la prise de décision seront nécessairement sous l’emprise de compromis de toute nature – politiques, budgétaires, de temporalité, en période de campagne c’est « mon programme ou rien ». Pour ce qui est de cette gauche qui ne se reconnait pas dans les promesses de « grand soir » Mélenchonien, ça sera rien, assurément.

Les un.e.s et les autres vont pouvoir « se compter », donc, c’est formidable. Et pour cela « faire valoir leurs idées », fut-ce dans l’indifférence générale. Mais réfléchir à ce que pourrait être la réalité de l’exercice d’une mandature de gauche, en tirer des conséquences pour s’organiser différemment, repenser l’organisation du pouvoir – la Vème République a vécu – c’est apparemment au dessus des forces des « têtes d’affiche » du moment. La droite, néo-libérale quand elle n’est pas xénophobe ou raciste, a de beaux jours devant elle.

S’il ne fallait qu’un signe de la droitisation de la France: c’est désormais le pays où on trouve la gauche la plus bête du monde.

Bonne année quand même

3 réflexions sur “Présidentielle 2022: une Gauche pour rien

  1. Merci Riwal pour ce point de vue ! Et très bonne année !
    Une spécificité de la France: c’est que la « gauche » et la « droite » sont quand même assez décentrées à gauche par rapport à beaucoup d’autres pays. Ainsi, EM, classé néolibéral voir ultra-libéral par certains, serait probablement social-démocrate dans nombre de pays. La faible acceptation de l’économie de marché par un pan entier de la gauche cause une mort lente, mais inexorable. Ce qui est frappant, c’est de voir nombre de socio-démocrates ayant abandonné la bataille aux tenants du ressentiment comme cheval de bataille. Le parti du ressentiment est aujourd’hui le parti le plus puissant de France, avec plus de la moitié du corps électoral qui s’y trouve, de droite comme de gauche. Et c’est là le problème le plus grave à mon sens.

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