Intarissables, les « Antivax » et/ou « Covido-sceptiques » tiennent sans répit le crachoir sur les réseaux sociaux. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours qu’on fête l’avènement, en quelques mois, d’un nouveau credo. Une foi qui crée du lien, une foi qui amène les un.e.s et les autres à se conforter mutuellement, à communier dans une posture de surenchérissement permanent qui peut les amener à franchir en moins de deux tous les points Godwin imaginables – étoile jaune, nazisme … – car lorsqu’on est dans le « vrai » face au « mensonge », tout est permis. Flot quasi-ininterrompu d’affirmations péremptoires, de raccourcis historiques jusqu’à l’ignoble sur mon « mur » Facebook, donc. Saoûlant, évidemment, à force. Vous me direz qu’il me suffirait d’évacuer certaines personnes de ma liste de contacts pour que cesse l’invasion de cette prose bruyante. Mais aussitôt s’éteindrait un radar à conneries qui m’est précieux. Alors je subis, et de temps en temps je dépose un commentaire outré ou sarcastique et me vois promptement et vertement tancé – comme quelqu’un qui viendrait de péter dans une église.
Il y a donc, un peu partout et singulièrement en ces parties du monde où l’on ne manque de rien, notamment de doses vaccinales anti-Covid, des gens qui se sont trouvé une cause à défendre: nous transmettre une « révélation » à faire pâlir les prophètes des monothéismes. En vérité, ils et elles nous le disent – comme autant de Fox Mulder du XXIème siècle: la vérité, justement, est ailleurs. Enfin, les vérités, car cet évangile est à géométrie variable, chaque adepte peut choisir la version qui lui convient: ça va de « la Covid-19 est une vue de l’esprit, moins qu’une grippe et dont le nombre de victimes est un bobard » à « Covid-19 il y a, mais les vaccins qu’on nous propose n’offrent aucune garantie, ceux qui disent le contraire nous mentent ». Cela étant, d’un bout à l’autre du spectre, un fil rouge: la DEFIANCE systématique à l’égard des discours émanant de toute forme d’autorité: gouvernements, personnalités politiques, grands médias, sommités médicales, Organisation Mondiale de la Santé, autorités de régulation (Food & Drugs Administration, Agence Européenne du Médicament), etc.. Car ces discours sont, selon les nouveaux évangélistes, au mieux entachés d’ignorance, au pire biaisés car sous l’influence de quelque inavouable conspiration de l’industrie pharmaceutique (version soft) ou d’un capitalisme mondial – le Juif au nez crochu des caricatures des années 30 n’est pas loin – déployant un contrôle orwellien de la population (version hard). Au final, un prosélytisme protéiforme et virulent nous enjoignant « d’ouvrir les yeux », d’entrer en « résistance » face aux diverses mesures prises par les autorités pour enrayer la pandémie Covid-19. Et nous voilà traités de « moutons », et voilà mon « mur » couvert de taches dégoulinantes d’Antivax.

Entendons nous bien: au-delà de l’outrance de certains mots, ces gens qui « doutent » de ceci ou cela du moment que ça vient « d’en haut » sont loin d’être tous des imbéciles à mes yeux. Et puis il faut bien admettre qu’à cette attitude de défiance il est possible de trouver des causes concrètes – même si on se gardera de les ériger en justifications et encore moins en excuses: il y a que les porteurs des discours « officiels » en ces temps de pandémie se sont plus d’une fois pris les pieds dans le tapis, notamment en France. « Bien sûr qu’il y a des masques en quantité suffisante / en fait non mais les masques ne servent à rien / Si si, en fait les masques sont indispensables d’ailleurs maintenant faut les porter partout / Tous les vaccins ont la même efficacité / Bon on va quand même jeter un deuxième coup d’oeil à l’Astra Zeneca / C’est bon on l’a vérifié ». Et puis il y a eu le tour de passe-passe de Pfizer transformant une commande de doses en commande de flacons au nez et à la barbe des autorités européennes, se goinfrant au passage de plusieurs milliards d’Euros, une « stratégie vaccinale » au démarrage chaotique pilotée par les crânes d’oeufs grassement payés du cabinet Mc Kinsey, les procédures de pass sanitaires qui rendent de facto la vaccination incontournable – après qu’on eût affirmé la main sur le coeur qu’elle ne serait jamais obligatoire, enfin les chiffres approximatifs balancés comme des slogans. Mais s’il est une vérité qui n’est pas « ailleurs », c’est bien que les autorités, qu’elles soient politiques ou médicales, locales ou internationales, ne sont pas infaillibles. Et nous vivons dans un monde extraordinairement bavard où ces mêmes autorités sont en permanence sommées de « communiquer » – parler c’est exister et dire c’est faire – quand elles ne le font pas spontanément. Alors forcément, face à un phénomène d’ampleur mondiale que personne n’a davantage vu venir qu’on n’a autrefois anticipé la grippe « espagnole » à l’issue de la première guerre mondiale, beaucoup de bêtises ont été dites et parfois faites par les détenteurs et détentrices du pouvoir en matière de santé publique. Suscitant, chez beaucoup, des froncements de sourcils sinon une exaspération bien compréhensibles. Particulièrement dans un contexte de restriction des libertés d’aller et venir, de dé-socialisation forcée, de spectacles réduits à Netflix. Seulement voilà: on peut déplorer que les « sachants » se contredisent ou s’avèrent ne pas savoir grand-chose sans pour autant prétendre en savoir davantage qu’eux.
Et c’est bien là le problème avec le prêchi-prêcha des « Antivax » et des « Covido-sceptiques »: tout un chacun peut librement accéder à tout et n’importe quoi sur le Net et peut, en quelques clics, trouver chaussure à son pied en matière « d’information ». Et s’improviser immunologue, virologue, statisticien, journaliste d’investigation ou spécialiste en matière d’ARN messager. Mais le savoir, la connaissance ne se construisent pas à coup de compilations d’hyperliens. Et on ne saurait s’autoriser à « douter » que dans des domaines où on a une compétence établie et reconnue. Or, si au XVIIIème siècle quelqu’un ayant eu accès à une bonne éducation pouvait raisonnablement prétendre simultanément connaître la physique, la philosophie, l’astronomie, la géologie et la médecine, il n’en est plus de même 300 ans plus tard: la connaissance a crû exponentiellement, les savoirs se sont hyper-spécialisés, dans tous les domaines imaginables. Cela étant, quels que soient les progrès de la connaissance, en toute science il demeure des incertitudes. Mais ces incertitudes n’autorisent pas des quidams, faisant l’économie d’années d’études et de recherche, à s’asseoir sur ce que des gens compétents ont la certitude de savoir. A tout le moins, en l’occurrence, en matière de science médicale avancée.
Pour ce qui me concerne, à partir du moment où existe un consensus scientifique international sur le fait que la seule façon de stopper durablement la propagation d’un virus c’est de maximiser la vaccination des populations – ce qu’on avait d’ailleurs pu comprendre depuis Pasteur, à partir du moment où des institutions comme la FDA, l’EMA (et les autorités suisses!) valident un certain nombre de vaccins, j’estime qu’il ne me reste qu’à me faire vacciner le plus vite possible, dont acte. Point-barre. Il est vrai que contrairement à certaines et certains je m’informe auprès de médias où travaillent de vrais journalistes, il est vrai que j’ai pu constater auprès d’un proche les ravages de cette saloperie… et il est vrai que du haut de mon diplôme d’école de commerce je ne me sens pas l’outrecuidance de contester l’autorité des scientifiques que consultent les gens de pouvoir. Fussent ces gens de pouvoir Macron et ses sbires, ou qui que ce soit dont je n’approuverais pas la politique par ailleurs. En l’occurrence j’écouterai ces gens de pouvoir dès lors que, contrairement à des satrapes comme Donald Trump ou Jair Bolsonaro, ils écoutent des personnes qui ont le savoir nécessaire.
A partir de là, je ne conteste à personne le droit d’avoir des craintes face à la vaccination. Mais vouloir faire nombre (manifs en France et ailleurs) et du bruit (diffusion massive de bouses elliptiques) sur le Net pour habiller ces craintes en conviction politique, à la traîne d’histrions démonétisés comme Jean-Marie Bigard ou Francis Lalanne, et ce faisant freiner le recul du virus, je considère que c’est de l’imbécillité à l’état chimiquement pur (c’est une image, je ne suis pas chimiste). Et je dénie à ces adeptes des réalités alternatives le droit de nous traiter de « moutons » sous prétexte que nous accordons un minimum de confiance à la science – la vraie, celle qui a conscience de ce qu’elle ne sait pas.
Dans la fameuse scène de la cuisine des « Tontons flingueurs » (Georges Lautner, 1963), Francis Blanche lançait: « … Et j’intime l’ordre à certains salisseurs de mémoire qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde ». Je ne saurais que reprendre ces mots, en remplaçant « salisseurs de mémoire » par « pourrisseurs de savoir ».
Ciao, belli.
Tennet ‘po e-bioù a-hed da vuhez. Trist eo kamerad.
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