« Armstrong je ne suis pas noir / Je suis blanc de peau / Quand on veut chanter l’espoir / Quel manque de pot / Oui j’ai beau voir le ciel, l’oiseau / Rien, rien ne luit là-haut / Les anges: zéro / Je suis blanc de peau » (Armstrong, paroles de Claude Nougaro sur le gospel « Go down, Moses », 1965)
Audrey Pulvar, candidate du Parti Socialiste aux prochaines élections régionales en Ile-de-France, s’est récemment ramassé une volée de bois vert médiatique. Interrogée sur les réunions « non-mixtes » organisées par le syndicat étudiant UNEF, elle a considéré que le principe en soi de ces réunions réservées aux Noirs ne la choquait pas à condition que les Blancs ou les Blanches n’en soient pas exclu.e.s, mais qu’elle admettait qu’on puisse « leur demander de se taire » lors de telles réunions. La droite, l’extrême-droite et aussi une bonne partie de la gauche lui sont tombés dessus à bras raccourcis sur le thème « il n’y a pas de racisme « acceptable » » (Valérie Pécresse).
L’UNEF, décidément… Après que le jiljeb arboré publiquement par Maryam Pougetoux, l’une de ses dirigeantes à Paris, ait défrayé la chronique, voilà le syndicat fortement critiqué pour ces exercices de « non-mixité » destinés, selon sa présidente Mélanie Luce, à «permettre aux personnes touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu’elles subissent». Ayant perdu depuis 2017 la place de premier syndicat étudiant, l’organisation, à défaut d’accroître le nombre de ses adhérents (30 000, soit 1% des 2,5 millions d’étudiants en France) a gagné en visibilité en devenant l’archétype de cette « gauche identitaire » qui fait débat depuis quelques années. Il y a que ces réunions « non-mixtes » posent méchamment question, même si on admet qu’elles relèvent du « groupe de parole » comme l’a souligné un Jean-Luc Mélenchon venu à la rescousse d’Audrey Pulvar: elles donnent corps à une certaine représentation de la société française, et c’est cette représentation qui en gratte beaucoup. A savoir l’image d’une société qui, loin d’être « color blind » – indifférente à la couleur de peau – comme en avait naguère rêvé un Gaston Kelman (« Je suis noir et je n’aime pas le manioc », Max Milo Editions, 2004) serait de fait fortement structurée autour de la couleur de peau.

Et c’est là que ça coince, car la France se raconte une toute autre histoire, celle de l’égalité et de l’intégration. Non seulement la France institutionnelle, comme par exemple lorsqu’elle prohibe les statistiques ethniques, mais aussi celle des formations qui jusqu’à très récemment dominaient la scène politique – Front/Rassemblement National excepté – et de la plupart des « intellectuels organiques » s’exprimant dans les médias… Tout ce beau monde, depuis la fin des années soixante, fredonne avec Nougaro « Au delà de nos oripeaux/Noirs et Blancs/Sont ressemblants/Comme deux gouttes d’eau ». Alors lorsqu’une organisation comme l’UNEF (par laquelle, de surcroît, sont passées naguère nombre de personnalités des partis de gauche – quand elles ne l’ont pas dirigée) se fait remarquer en parlant sans cesse de « racisés.e.s » et en organisant, donc, des réunions « non-mixtes », le sang de bon nombre de gens, singulièrement à gauche, ne fait qu’un tour: « Quoi, moi, le « blanc de peau », qui depuis des décennies martèle ma fraternité, mon anti-colonialisme, mon anti-racisme, tu viens m’expliquer que je devrais fermer mon clapet dans des réunions parlant de discrimination, sous prétexte que, vu mon « white privilege » je ne comprends rien à ce que tu ressens? ». Ah il est loin, le temps de « Touche pas à mon pote » ou de la « France black-blanc-beur »… Toutes proportions gardées, ce désarroi ressemble à celui des Juifs américains, souvent très impliqués dans les luttes pour les droits civiques, devant les pulsions antisémites de certains leaders noirs. Quant à la droite « identitaire », elle crie publiquement au racisme et à l’atteinte aux principes républicains mais on sent bien qu’in petto elle ricane de ce qui ressemble à une déroute du multiculturalisme – sur l’air de « on vous l’avait bien dit, le mélange ça ne fait marcher que les mobylettes ».
Nonobstant, il faudrait quand même arrêter de se mentir avec l’ « égalité ». La vérité de la société française, ce n’est pas la « color blindness », singulièrement lorsqu’il s’agit de trouver un emploi ou un appartement. Alors toutes ces belles âmes humanistes qui crucifient l’UNEF au nom des « principes républicains », il ferait beau les voir déployer autant d’énergie pour traquer et punir les employeurs qui refusent un job / les bailleurs qui refusent un logement à une personne, juste parce qu’elle se prénomme Hind ou Boubacar. La systématisation du « testing », les CV anonymisés, on en parle depuis quand, déjà? Dix ans, vingt ans? Qu’en 2021 des personnes, comme on dit, « de couleur » se sentent discriminées dans le beau pays qui a glorifié Lilian Thuram, il ne faut pas s’en étonner. Et qu’à un moment donné lesdites personnes, lorsqu’elles sont étudiantes, trouvent que les réunions « non-mixtes » de l’UNEF sont une bonne idée, on peut au moins essayer de le comprendre. Et, au pire, se dire que personne n’est obligé d’adhérer à ce syndicat qui par ailleurs perd des plumes: l’UNEF, ce n’est pas tout l’Enseignement Supérieur français, loin s’en faut.
Seulement voilà, on ne peut pas balayer d’un revers de main cette affaire en ramenant ces réunions « non-mixtes » à de simples « groupes de parole ». De tels groupes, on en connaît par ailleurs: ceux qui réunissent les femmes battues, les toxicomanes, les victimes de prêtres pédophiles, les survivants de catastrophes, d’attentats terroristes ou les réfugiés de pays en guerre… les sujets dramatiques ne manquent pas, qui justifient qu’à un moment donné, ceux et celles qui souffrent ou ont souffert éprouvent le besoin d’un entre-soi, partant du principe que ce que « les autres » peuvent dire de leur problème a une valeur contestable. Mais dans tous ces exemples, ce qui est arrivé aux victimes est le fruit de concours de circonstances, de malchance: ce n’est absolument pas le cas de personnes subissant des discriminations à cause de la couleur de leur peau. Non seulement on ne devient pas noir un beau jour, mais on ne saurait cesser de l’être. Subir le racisme n’est pas une fatalité pour autant, et le mal-être qui peut en résulter est tout autant réversible que celui qui affecte une personne ayant été abusée sexuellement, mais la réversibilité en sera d’autant plus envisageable que la cause du mal-être entrera dans l’équation: le racisme c’est l’affaire de tout le monde, y compris et surtout des « Blancs de peau ». Signifier à ces derniers qu’ils font davantage partie du problème que de la solution et leur dénier le droit de participer à la conversation, c’est comme tenter de fabriquer un vaccin sans s’intéresser au virus – pour utiliser une métaphore d’actualité. Et à la vacuité intrinsèque, donc, de ces rencontres de « racisé.e.s » se contemplant le nombril – « Quand un vicomte rencontre un autre vicomte/Qu’est-ce qu’ils se racontent?/Des histoires de vicomtes » chantait Brassens – s’ajoute le désastreux affichage d’une attitude sectaire, étroite d’esprit et, pour tout dire, essentialiste (« les Blancs ne peuvent pas comprendre ») donc raciste.
Affichage désastreux, au point qu’on peut soupçonner que parmi certains « Blancs de peau » de gauche envisageant presque sereinement de ne pas voter Macron contre Le Pen en 2022, sous le discours « Ah-non-on-ne-m’aura-pas-deux-fois » se cachent en réalité de moins avouables motivations, du genre « A quoi bon se mobiliser? Je vais t’en donner, moi, du racisme systémique » – le désarroi mène souvent au dépit, à la colère. On parie?
Ciao, belli