Cela fait presque an, maintenant, que vous défilez par millions à travers le monde, à l’appel de Greta Thunberg, pour exiger des actions afin de contrer le dérèglement climatique. Etudiants, lycéens, élèves, vous séchez les cours le jeudi ou le vendredi pour occuper les rues. A Lausanne, en Mars, vous étiez plus de 10 000.
Le succès de ces marches, depuis Août 2018, a pris tout le monde par surprise, alors bien sûr il n’a pas fallu trop attendre pour que des vieux cons – je veux dire, des cons de ma génération plutôt que de la vôtre – se mettent à vous faire la leçon. A vous expliquer à quel point il peut sembler absurde de penser que des manifs puissent enrayer la machine infernale du réchauffement. A quel point cette idée de protester, par exemple à Lausanne, contre un phénomène mondial, peut apparaître ridicule et vaine. A ricaner en observant qu’il a bon dos, le climat, que faire péter quelques cours et se promener dans la rue en faisant du charivari, ça en arrange plus d’un-e. A vous faire remarquer que, nonobstant, la majorité d’entre vous continue de fréquenter assidument MacDonald’s et Starbucks’, grands pollueurs mondiaux devant l’Eternel, passe sa vie le nez rivé sur des smartphones importés du bout de la terre et dont les applications nécessitent de gigantesques serveurs énergivores, prend l’avion pour aller en vacances, la voiture plus que de raison, etc… Bref, à vous renvoyer vers le mantra suivant: si les individus, les ménages, les entreprises « font des efforts » tout ira mieux. Air connu.
Seulement voilà: même si les comportements de consommation contredisent parfois trop souvent nos aspirations sociétales, même si une modification de notre « demande » peut influencer « l’offre », il faut être borné comme seuls savent l’être les talibans du néo-libéralisme pour ne pas voir « l’éléphant dans la pièce »: seule une régulation des forces du marché par le politique et le supra-politique – Etats, institutions comme l’Union Européenne, voire organisations comme l’OMC – peut avoir une chance de modifier structurellement « l’offre » en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique. A titre d’exemple: tant que le coût du transport des marchandises ne sera pas incrémenté, via des taxes, de son coût environnemental (empreinte carbone) et qu’il coûtera moins cher à un Suisse d’acheter une chemise fabriquée au Vietnam plutôt qu’en Belgique, tant que sera rentable l’importation et l’exportation d’oeufs à travers toute l’Europe, de la Bulgarie jusqu’au Portugal (un peu comme si les Bédouins du Koweit se mettaient à faire le commerce du sable avec ceux du Bahrain), on pourra toujours encourager les individus à être « responsables » et à « consommer local » en payant plus cher, ça ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan, un pet de lapin face aux missiles intercontinentaux des lobbyistes du pétrole et du transport.
Et une régulation par le politique, à tout le moins dans les pays démocratiques, ça peut se stimuler à coups de manifs. Dès lors vos « Grèves du Climat » sont tout-à-fait sensées, singulièrement parce qu’elles mobilisent une population qui s’apprête à rejoindre le corps électoral ou venant tout juste de le faire. Le récent succès des « Verts » de part et d’autre du Rhin, et ailleurs, c’est un boulet qui commence à siffler aux oreilles des dirigeants européens. Et donc des lobbyistes. Affaire à suivre, assurément.
Il est cependant un autre « éléphant dans la pièce » sur lequel j’aimerais attirer votre attention, ami-e-s Grévistes du Climat. Un événement à venir d’ampleur planétaire qui mériterait pleinement une réponse globale, une aberration de l’esprit humain contre laquelle devrait s’élever un mouvement inter-continental de protestation de toutes celles et de tous ceux que le dérèglement climatique préoccupe. Un mouvement d’une ampleur telle qu’il ferait reculer le « nerf de la guerre » de cet événement, à savoir ses sponsors – Coca-Cola, MacDonald’s, Adidas, des marques pour lesquelles votre empathie, votre adhésion émotionnelle tout autant sinon plus que la part qu’elles prennent dans votre porte-monnaie, à vous, les jeunes, sont un Graal inestimable. Je veux parler de la Coupe du Monde de Football de 2022 qui, ça ne vous aura pas échappé, se déroulera au Qatar. Un pays où la température en été flirte avec les 50 degrés Celsius et qui va déployer des fortunes (35 milliards de dollars au bas mot) pour édifier… et climatiser des stades de plus de 80 000 places. A coups de panneaux solaires, soi-disant, me direz-vous, mais tout de même: d’une part on peut s’étonner que l’on ne puisse miser massivement sur les énergies renouvelables que lorsqu’il s’agit de spectacle footballistique, par ailleurs l’opulente prospérité qui sous-tend ces investissements massifs a pour origine les énergies fossiles – gaz naturel et pétrole – dont on n’a pas entendu que le Qatar souhaitait qu’on en réduise l’exploitation, c’est le moins qu’on puisse dire. Bref, cette coupe du monde, outre les soupçons de corruption qui entachent son attribution à un tel pays, outre les pratiques esclavagistes constatées lors de l’édification desdits stades, c’est un crachat à la gueule des défenseurs de l’environnement et du climat. Du genre « cause toujours, petit écolo, le foot c’est sacré, je t’emmerde ».
A coups de dizaines de milliards de dollars, donc, on climatise des stades pour que 22 imbéciles puissent taper dans une ba-balle pendant 90 minutes, mais on hésite à taxer le transport international parce que « ça aurait un coût trop élevé pour l’économie ». Et on laisse crever la planète de chaleur. On déplore officiellement le changement climatique mais on se dit « bof, c’est pas grave, on mettra la clim’, regardez comment ils ont fait pour la coupe du monde au Qatar, en plus c’était à l’énergie solaire, donc zéro impact ». Cet événement est un crachat à la gueule des défenseurs de l’environnement et du climat, tout simplement car il laisse entendre qu’on peut indéfiniment et impunément accroître notre consommation d’énergie. Une vitrine d’un « toujours plus ».
Donc, ami-e-s Grévistes du Climat, en toute logique vous devriez commencer à défiler et protester en masse contre la coupe du monde au Qatar. Mieux: vous devriez vous lancer dans un mouvement de boycott de cet événement, genre: « je ne regarderai pas les matches, plutôt crever que de soutenir par mon audience un truc aussi absurde ». Ce qui ferait flipper leur race à Coca-Cola, MacDonald’s, Adidas, qui y regarderaient à deux fois avant de financer un truc haï par leur « cible prioritaire ». Et les Qataris l’auraient potentiellement dans le cul, bien fait pour eux. Chiche.
Bon, là, petite remarque: aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours détesté le foot et surtout le bazar médiatique qui va avec. Pour ce qui me concerne, le boycott de la coupe du monde de football est une attitude naturelle, qu’elle se déroule au Qatar ou aux îles Shetland. Donc pour moi c’est facile. Mais je sais bien que je suis ultra-minoritaire et que, pour la plupart d’entre vous, la simple idée de ne pas regarder, par principe, un match de coupe du monde est très, très dure à envisager. Je compatis. Si, si.
Alors c’est à vous de voir. Mais laisser passer sans broncher un truc comme des stades climatisés par 50 degrés à l’ombre et défiler pour encourager les gouvernements à faire gaffe à la consommation d’énergie, entre autres, moi je trouve ça un poil contradictoire. Encore une remarque de vieux con. Mais vous avez l’habitude.
Amicalement,
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