Pour mettre fin à une polémique lancée ces derniers jours, l’enseigne d’articles de sport Décathlon a décidé de retirer de la vente un bout de tissu, genre cagoule en matière synthétique, dont la vocation était de servir de hijab à des joggeuses attentives à garder, en toute circonstance, un look « islamique ».
Il y a qu’au sein du parti « Les Républicains » se sont trouvés un certain nombre d’individus en mal de ligne politique – singulièrement Lydia Guirous, porte-parole dudit mouvement et qui, justement, n’a rien à dire – pour prendre ombrage d’un tel développement de l’assortiment d’une entreprise de détail. Indignation bien évidemment reprise en choeur par des élus du Rassemblement National, mais aussi par Gérard Larcher, Président du Sénat, par des élus LREM et… des socialistes (si si, il en reste, apparemment). Pour certains l' »identité française » s’en trouvait menacée, de même que les « racines chrétiennes » d’une République qui, soit dit en passant, s’est précisément construite sur la base de l’indifférence aux convictions religieuses ou à leur absence, fait historique qui a du échapper à un certain nombre de « Républicains » auto-proclamés. Pour d’autres, la cause était a priori bien plus noble: celle du droit des femmes, le hijab symbolisant une forme de soumission. Bref, face à cette avalanche de critiques, Décathlon a officiellement renoncé à commercialiser son « hijab de sport ». En France, donc, pays qui se targue d’appartenir au club restreint des démocraties libérales, une entreprise privée peut se trouver contrainte à renoncer à sa vocation première: répondre aux besoins de ses clients. Il est vrai que certains de ses employés se voyaient menacés de mort sur les réseaux sociaux, et puis quand on s’appelle Décathlon, on se doit d’être consensuel, de se tenir hors de toute polémique, justement. Donc, en bons commerçants, les dirigeants de l’enseigne ont préféré se priver d’un chiffre d’affaires supplémentaire pour ne pas voir fuir une masse de chalands auprès desquels ils supposent que ce produit « polémique » aurait détérioré l’image de l’entreprise. Pour faire court: « on ne va quand même pas se pourrir tout notre business à cause de quelques Arabes ». Restons dans le conforme, donc, pas de vagues.
Pour rappel: je n’éprouve aucune forme d’indulgence à l’égard de la bigoterie, d’où qu’elle se manifestât, dès lors qu’elle cherche à contrôler la vie des individus et à s’imposer dans l’espace public. Et personnellement, il me faut faire un effort considérable pour voir chez une musulmane portant le hijab, une juive pieuse enveloppant ses cheveux dans un bonnet de laine ou une bonne soeur emballée jusqu’au menton des femmes totalement émancipées et épanouies, c’est plus fort que moi. Tant je ressens au plus profond de mon être que les « grandes religions », comme on dit, ont en commun de tenir en général les femmes soit pour des pondeuses, soit pour des putains, les unes et les autres se devant d’être dûment « régulées » par les porteurs du verbe divin – des hommes, bien sûr, car Dieu est masculin.
Mais d’une part je ne fais pas de ce regard, qui est le mien, une vérité qui devrait s’imposer à toutes et tous, et d’autre part je tiens beaucoup à l’idée du libre-arbitre. Et pour ce qui est des musulmanes portant le hijab, dès lors qu’elles sont adultes, je pars du principe qu’elles ne sont a priori ni forcément des militantes de je ne sais quel « indigénisme » (P.I.R.), ni fatalement des victimes qu’il conviendrait de sauver d’une forme d’obscurantisme. Mais des individus ayant à un moment fait un choix qui les regarde. (Lire également, ici-même, Plein le cul, de la « question musulmane« ).
Oui mais voilà: il se trouve qu’en France la question de l’Islam fait vendre, sur le marché des idées. Soit pour affirmer, contre toute évidence historique, que les sociétés d’Europe et d’Occident en général sont d’essence exclusivement judéo-chrétienne. Et que cette « essence » doit être préservée, discours plus facile à vendre que celui qui consiste à dire « qu’il y a trop d’Arabes ». Soit pour nommer à peu de frais un nouveau champ de bataille du « droit des femmes », donnant à la question de la foi musulmane une place centrale escamotant les phénomènes sociaux. Alors on pointe du doigt un Décathlon, qui a eu l’idée funeste de commercialiser un produit ciblé sur une partie de sa clientèle. Et on se fait mousser, on se drape dans l’indignation, on exprime de la « colère ». Et tout ce que les réseaux sociaux comptent d’abruti-e-s que l' »identité » chatouille de relayer, d’amplifier cette bouse.
Au final, donc, en France, « patrie des droits de l’homme », une personne adulte ne saurait nécessairement se vêtir comme elle l’entend. Pour respecter une « décence judéo-chrétienne » et protéger le « droit des femmes », il conviendra que les musulmanes n’envisageant pas de courir dans les parcs « en cheveux » se couvrent la tête d’un bandana siglé NIKE ou ADIDAS (en vente chez Décathlon, en cherchant un peu): elles montreront ainsi qu’elles sont intégrées. Et libres. Ainsi soit-il.
Mais je voudrais un truc: que tous ceux et toutes celles qui ont pointé du doigt Décathlon et son « hijab de sport » se rassemblent pour exiger publiquement, avec la même virulence, la fin du commerce des armes avec l’Arabie Saoudite. Pour que cesse la fourniture d’équipements de mort sophistiqués à ce chancre purulent du Moyen-Orient, qui sème la désolation et l’ignorance à l’extérieur de ses frontières, et impose la servitude à la moitié de sa population – les femmes – à l’intérieur. Comment ça, ça n’a rien à voir? Ben si, justement.
Seulement voilà: envisager, ne serait-ce qu’un instant, de s’asseoir sur les emplois liés à l’armement comme on s’est naguère assis sans états d’âme sur ceux de la sidérurgie voire de l’industrie en général, pas très porteur, à quelques mois des élections européennes. Pas très « responsable ». Tandis que faire chier quelques musulmanes à domicile c’est comme le Loto: c’est facile, c’est pas cher, et ça peut rapporter gros.
See you, guys.