Envie d’une chanson de Brel comme bande-son: « Mon père disait… C’est le vent du nord qu’a fait craquer la terre entre Zeebruges, entre Zeebruges, petit, c’est le vent du nord qu’a fait craquer la terre entre Zeebruges et l’Angleterre ». Envie d’en finir avec ce Brexit qui n’en finit pas. Envie de passer à autre chose.
Si, pour autant, il reste quoi que ce soit à quoi on puisse « passer » dans la construction européenne, après ces décennies de présence britannique. La Grande-Bretagne claque la porte d’une masure sans véritables fondations. L’ironie de l’Histoire, c’est que les gouvernements britanniques successifs, depuis 1972 et singulièrement depuis Thatcher, se seront avec constance mis en travers de tout étayage politique un tant soit peu robuste de l’édifice européen. Refus d’une harmonisation fiscale et sociale, refus de l’élargissement des décisions à la majorité qualifiée, refus d’une défense commune indépendante des Etats-Unis… C’est connu, pour les gouvernants britanniques l’Europe ne pouvait être qu’un marché où règne la concurrence de tous contre tous, parsemé de paradis fiscaux. Un grand bac à sable pour banquiers et épiciers. Dès lors qu’elle y bloquait toute mise en oeuvre d’un pouvoir démocratique et supra-national, l’Europe est devenue, mondialisation et paresse/complicité des autres dirigeants aidant, de facto « anglomorphe ». L’Europe que la Grande-Bretagne n’en finit pas de quitter depuis des mois, c’est sa « chose », son « machin ».

Imperial War Museum – « Spitting Image » – London (photo de l’auteur)
Un espace d’où s’est, doucement mais sûrement, effacé le « pacte Keynésien » d’après-guerre – quand le capitalisme, histoire de couper l’herbe sous le pied du communisme qui occupait déjà la moitié du continent, en rabattait un peu sur son avidité naturelle et favorisait l’épanouissement de vastes classes moyennes. Un espace où la puissance financière est devenue une fin, et non plus un moyen de l’économie. Un espace ouvert aux quatre vents de la concurrence mondiale. Un espace où l’impôt, pourvu qu’il soit direct et redistributif d’une part, et la dépense publique, dès lors qu’elle ne favorise pas nécessairement l’accroissement des profits à court-terme, d’autre part, c’est mal. Et, de fait, pour toutes ces raisons, un espace où fleurissent, d’est en ouest et du nord au sud des formations politiques « identitaires » qui se nourrissent du désarroi des citoyens: l' »identité » c’est ce qui reste quand le politique se contente de discours gestionnaires, c’est ce qui devient saillant lorsque « l’autre », alors que les rapports sociaux se brutalisent et que la gamelle rétrécit, ne peut être qu’un concurrent illégitime. Et le « souverainisme » c’est ce qui éclôt lorsqu’on interdit toute souveraineté – autre que normative – sur une économie capitaliste européenne en roue libre. C’est-à-dire lorsque l’Europe à la sauce britannique est devenue un horizon indépassable. Le Brexit, donc, c’est l’histoire de cet invité qui vous a pourri la soirée et part sans dire au revoir, en vous laissant le boxon.
Le mal est-il irrémédiable? Verra-t’on un jour émerger des dirigeants européens lucides, capables de construire une Europe véritablement démocratique, collectivement souveraine et davantage au service de ses citoyens que de ses champions économiques? On peut rêver…
En attendant, que voguent au large les souverainistes britanniques et, avec eux, le fatras idéologique néo-libéral qui nous a tant pollué la vie. Afin que puisse naître l’espoir ténu que s’estompe, avec le temps, l’empreinte thatcherienne sur le continent. Pitié, pas de nouveau référendum, ce qui est dit est dit. Grab your stuff and get the fuck out of here.
Envie d’une chanson de Brel comme bande-son: » Et Londres n’est plus, comme avant le Déluge, le poing de Bruges narguant la mer. Londres n’est plus que le faubourg de Bruges perdu en mer ».
Ciao, belli