En 1979 eurent lieu les premières élections pour désigner les membres du Parlement Européen. Je n’étais pas en âge de voter à l’époque, mais je me souviens avoir plus ou moins suivi la campagne. En particulier il y avait cette liste « bretonne » un peu ovni, dirigée par Jean-Edern Hallier – « Régions Europe ».

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A la base, son slogan était un peu court: « Voter breton, c’est voter régions ». Un peu comme on dirait « rouler en voiture, c’est être sur quatre roues ». Même si on sentait bien l’idée, confusément: promouvoir, grâce au cadre européen, l’autonomie des régions au détriment des états-nations. Bref. Jean-Edern Hallier eut droit à quelques minutes d’antenne dans le cadre de la campagne officielle. Et là, petit coup de théâtre. Au lieu de consacrer ce temps à expliquer le pourquoi de cette liste, l’écrivain se lança dans une violente diatribe contre le président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing (Edern-Hallier publierait quelques mois plus tard son pamphlet anti-Giscard « Lettre ouverte au colin froid » (Albin Michel), ceci expliquant peut-être cela), fustigeant notamment la servilité des médias à son égard, je cite de mémoire: « De Gaulle avait des ennemis, Giscard n’a que des valets ». Par la suite, la liste renoncerait à imprimer des bulletins et appellerait à voter nul. En définitive: un projet politique original qui se termine en bouffonnerie. L’UDF de Giscard gagnerait ces élections avec Simone Weil en tête de liste, reléguant le tout nouveau RPR de Chirac loin derrière, le tout sur fond d’un taux de participation relativement faible.
Je ne peux m’empêcher de considérer cette anecdote comme emblématique du tour qu’ont pris, en France, les élections européennes lors des quarante années suivantes: du grand n’importe-quoi, une « Fête du Slip » se matérialisant par la juxtaposition de petites combines nationales des grands partis et de candidatures foutraques – sectes, illuminés, trotskistes lambertistes, « Jean-Edern » de toutes sortes. Un scrutin vécu par ses participants et observateurs, proportionnelle aidant, comme un sondage grandeur nature. Un outil de gestion des carrières des un-e-s et des autres dans les formations dites « de gouvernement », un moyen de « se compter » pour les autres. Y compris, bien sûr, pour les formations les plus hostiles à la construction européenne. Notons que ce schéma se retrouve, peu ou prou, dans les autres pays européens et, last but not least, que le parlement issu de ces élections a des pouvoirs limités. Au final: le fameux « déficit démocratique » qui affecte l’Union Européenne.
Emmanuel Macron a, à peu de choses près, l’âge de cette institution qu’est le Parlement Européen désigné au suffrage universel, en théorie on ne saurait lui en reprocher les faiblesses. On ne saurait, non plus, contester la sincérité de ses convictions européennes. Mais de ces quarante années où les électeurs ont été invités à désigner des parlementaires sans mandat ni pouvoir clairs, de ces quarante années au cours desquelles l’Europe des marchands et des marchés s’est faite hors-sol, sous la houlette de chefs d’état ou de gouvernement certes élus (le Conseil Européen), mais sur des programmes strictement nationaux, de ces quarante années où le politique s’est effacé devant les « nécessités » de l’économique, Emmanuel Macron est le rejeton, voire le symbole. Car il est possible qu’au train où vont les choses – Brexit, défaite de Matteo Renzi en Italie, effacement planifié d’Angela Merkel… – il ne devienne rapidement le dernier représentant encore au pouvoir d’une classe politique européenne « d’avant » – d’avant l’ascension spectaculaire, en Europe comme ailleurs, de bruyants démagogues « dégagistes ».
Alors lorsque son gouvernement décide, en guise d’appel au civisme, de produire et diffuser un clip franchement orienté, déclinant des thèmes qui seront a priori ceux de la campagne du parti du président, l’opposition pousse des hurlements. Quelques mois après l’affaire Benalla, la série « l’Etat c’est moi, j’aurais tort de me gêner » continue, certes. Mais surtout, ce clip « officiel » signe un aveu: pour Macron et les siens, le débat démocratique européen – pour autant que la campagne électorale française en soit un quelconque reflet – ne saurait s’organiser qu’autour d’un certain nombre de thématiques bien définies (immigration, concurrence, environnement) qu’une video de quelques minutes peut facilement résumer. Escamotés, les débats potentiels sur la fiscalité, la régulation de l’économie, les questions institutionnelles… Et puis il y a le fond: Macron, dans cette histoire, se veut l’incarnation de la résistance à tous les « populismes », tous les « illibéraux », mouvements dont le hongrois Viktor Orban serait l’incarnation. Cette posture se décline également dans une version purement « hexagonale » en vue des prochaines échéances électorales en France: « entre Mélenchon/Le Pen et moi, il n’y a rien ». Bien. Seulement voilà: n’eût été l’arrogance de cette élite européenne dopée à l’ultra-libéralisme reagano-thatcherien dont Macron est la caricature, n’eût été la nullité des débats que suscitent les élections européennes, lesdits « populistes » ne seraient peut-être pas aussi saillants dans l’espace démocratique (voir ici-même, « Salauds de Pauvres »). Le clip alarmiste du gouvernement Macron, c’est finalement le credo d’un pompier pyromane.
En l’état actuel des choses – une gauche atone ou réduite aux vitupérations souverainistes et complotistes d’un Mélenchon – il y a fort à parier que ces élections quadragénaires ne dépareront pas leurs éditions précédentes – escamotage des vrais enjeux continentaux et politicailleries franchouillardes. La Fête du Slip battra son plein en 2019, Macron en sera le maître de cérémonie.
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