Pas davantage que le pouvoir russe avec le centenaire des révolutions de Février et d’Octobre en 2017, rien ne laisse penser que le gouvernement français prévoie de commémorer le cinquantenaire du grand monôme socio-politique de Mai 1968. Et à dire vrai, personne n’entend défiler pour exiger un tel exercice: qu’un pouvoir comme celui de Macron « commémore » Mai 68, ce serait quelque part comme consacrer une église en l’honneur de Georges Brassens.
Hasard du calendrier peut-être, il est plausible cependant qu’en ce cinquantenaire se manifestent avec force deux projets de revanche définitive sur Mai 68, offrant de vrais débouchés politiques à tous ceux qui ont « ces événements » en travers de la gorge: la « droite décomplexée » façon Wauquiez et la « réac-attitude » d’une Marion Maréchal-Le Pen (pas davantage en retrait de la politique que Netanyahu de la Cisjordanie). Et la question qui se pose est celle des modalités de leur convergence officielle, non de son éventualité.
La politique d’Emmanuel Macron coche toutes les cases des mantras de la droite libérale – exaltation de « l’entreprise » et de l’initiative individuelle, méfiance à l’égard de la dépense publique et des mécanismes de redistribution/solidarité, dérégulation du marché du travail, enthousiasme béat pour la mondialisation et l’agenda libre-échangiste européen, etc… En matière socio-économique, la droite s’en donc trouve réduite à une surenchère un peu puérile (« Et ben moi je supprimerai un million de postes de fonctionnaires, et bisque bisque rage », « Et ben moi les chômeurs je vais vraiment te les obliger à bosser, n’empêche »…), pas de quoi, en soi, justifier l’existence d’une formation politique. Et ça, Laurent Wauquiez l’a compris avant ses petits camarades. D’où ses clins d’oeil appuyés à la fraction la plus réactionnaire de son électorat (flirt officiel avec la « Manif pour tous »), d’où les discours « identitaires » (revendication d’un statut de « chef des nationalistes », critique toute Maurrassienne d’un Macron n’ayant pas de « lien charnel » avec la France) pré-emptant les thématiques habituelles du Front National (immigration, Islam). Ce n’est pas tant que Laurent Wauquiez soit nécessairement lui-même convaincu de toutes ces Lepenneries (après tout, il a commencé sa carrière politique comme centriste bon teint auprès de Jacques Barrot), c’est juste qu’il n’a pas le choix s’il veut exister. Et, tout comme Chirac et Sarkozy en leur temps, il est doté d’un cynisme à toute épreuve.
La politique d’Emmanuel Macron coche toutes les cases du fantasme frontiste de « l’Anti-France » – rassemblement de personnalités issus des deux anciens partis de gouvernement, la « République en Marche » est stricto sensu l’incarnation de l’ « UMPS », on y exalte l’Europe et la « diversité » d’origines ou de préférences sexuelles, on y parle volontiers « globish »… En théorie, un tel gouvernement ouvre un boulevard au Front National, pour peu que ses « réformes nécessaires » génèrent grincements de dents et frustrations tout en ne résolvant pas significativement la question centrale du chômage de masse. Cela étant, le Front National s’est entretemps pris les pieds dans le tapis de la question de l’Euro, et le « gaucho-lepénisme » est temporairement sur la touche, tandis que se déploie une croquignolette « crise de leadership » qui, au Front National prend les allures d’un psychodrame familial: le père réussira-t’il à vraiment pourrir l’existence de la fille afin que la petite-fille puisse dégager sa tante? Et voici Marion Maréchal-Le Pen de nouveau sous les feux de la rampe, médiatisant ici son intervention, à l’invitation de Sarah Palin, lors d’un rassemblement Trumpiste, annonçant là son intention de créer une « académie de sciences politiques » – « Nous souhaitons être le terreau dans lequel tous les courants de la droite pourront se retrouver et s’épanouir ». Suivez son regard: il y a de fortes chances pour qu’une droite internationaliste, libérale sur le plan sociétal et rétive à l’emprise du catholicisme – mettons, Juppéiste – ne dispose pas de beaucoup d’amphithéâtres dans ce projet d’académie.
« Réac-adémie » de l’une, opportunisme de l’autre, en ce cinquantenaire de Mai 68 on a toutes les chances d’assister à l’accomplissement des rêves les plus fous de la rédaction du « Figaro-Magazine »: l’union enfin scellée d’un mouvement populiste, xénophobe et autoritaire avec une nomenklatura d’énarques à même de prendre les commandes d’un état moderne, le rassemblement d’un « peuple » et d’une « élite » catho-tradi-dentitaires, l’élaboration d’une doctrine Européenne centrée sur la préservation des états-nations, pour tout dire les retrouvailles d’une « vraie droite » que n’empêchent désormais plus les fractures issues de la guerre d’Algérie – voire de la seconde guerre mondiale. Reste à régler la question du leadership de cet attelage, secondaire à ce stade. De même qu’est secondaire la forme que prendra un Front National « rénové » et du rôle qu’y jouera – ou pas – Marine Le Pen.
Face à cette force politique en gestation: d’une part le parti Macronien, « machin » dont il reste à démontrer l’aptitude à s’ancrer durablement dans le paysage et, notamment, à valoriser et faire apprécier l’action de « Jupiter », d’autre part la « France Insoumise » qui, n’en doutons pas, entonnera le grand air du « fascisme » (fusion Wauquiez-Le Pen) sorti des entrailles de la « finance internationale » (Macron) – bref, le « Système Macrenchon« . Plus quelques centristes de droite satellisés. Et c’est tout.
Car la gauche européiste, écolo, favorable à l’économie de marché pourvu qu’elle soit régulée, débarrassée du marxisme-léninisme, héritière dans une certaine mesure de Mai 68 a été consciencieusement rayée de la carte par l'(in-) action de « socialistes de rencontre » (De Gaulle parlait de Vichy comme d’un « gouvernement de rencontre ») dont la complaisance à l’égard des divers lobbies patronaux n’a eu d’égale que l’incapacité à formuler un quelconque projet. Mais c’est une autre histoire. Ou pas.
Triomphe d’un nationalisme xénophobe et réactionnaire face à un pouvoir qui s’assume ploutocratique et pro-patronal, disparition d’une gauche résolument non-stalinienne. En fin de compte, le cinquantenaire de Mai 68 sera commémoré dignement: un enterrement de première classe.
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