« Sortez les sortants! », c’était le cri de ralliement du mouvement Poujadiste, au milieu des années cinquante. Sept décennies plus tard, c’est chose faite: les partis historiques de la République ont été rayés de la carte, en particulier de celle de l’Assemblée Nationale. Au-delà des causes internes, structurelles de ce chambardement – l’impéritie de la gauche au pouvoir, l’inanité de l’opposition de droite et leur commune incapacité à mobiliser profondément l’électorat sur le plan national – le moment électoral 2017 s’est caractérisé par ce que les observateurs ont appelé le « dégagisme » ou le « rejet du système ». Et de fait, seules trois figures surnagent sur la scène politico-médiatique cinq mois après la fin du cycle électoral, trois figures qui ont fait de la « rupture avec le sytème », à des titres divers, le moteur de leurs campagnes respectives. L’une d’entre elles cependant, Marine Le Pen, est actuellement en convalescence, cherchant à savoir ce qu’elle cherche à défendre, restent donc deux protagonistes. L’un est devenu Président de la République, l’autre un bruyant opposant. Entre Macron et Mélenchon, donc, à ce jour: rien. Et ça leur va bien.
Ca leur va bien, à l’un et à l’autre, car le spectacle de leur affrontement allonge leur espérance de vie politique, chacun étant pour l’autre un parfait épouvantail à électeurs: Mélenchon-le-rouge, ardent défenseur de la taxation des riches et d’une re-nationalisation de l’économie d’un côté, Macron-le-banquier, accompagnateur béat de la dérégulation mondiale et fidèle exécutant des lobbies patronaux, de l’autre. Tandis que le retour plausible, à terme, du Front National dans le jeu ne les gêne aucunement – au contraire, l’un pourra dire « c’est moi ou les populistes » et l’autre pourra suggérer, derrière le retour du F.N., un complot de « la Finance » pour détourner le bon peuple des « vraies questions » tout en brandissant un anti-fascisme de bon aloi – ni Macron ni Mélenchon n’ont intérêt à ce que ne ré-émergent les formations de droite ou de gauche antérieures à leur duopole. Officiellement parce que, n’est-ce pas, il s’agirait d’un « retour en arrière », chacun d’entre eux l’expliquera avec ses propres mots. Officieusement: un tel retour risquerait de ramener de la nuance dans le débat public et ça, ils n’y ont aucun intérêt, ni l’un ni l’autre. Car la simplicité et l’archi-lisibilité sont au coeur même de ce moment particulier de la vie politique française qui cherche à se perpétuer et, lui aussi, à faire système – le système Macrenchon, une hydre à deux têtes qui entend bien maintenir le vide autour d’elle.
Simplicité, archi-lisibilité d’une action gouvernementale dont la feuille de route du moment consiste en une dé-régulation du Droit du Travail. La Ministre en charge ayant signalé benoîtement au passage que ces fameuses ordonnances ne sauraient, en tant que telles, être une réponse au problème du chômage de masse, on se dit « ah bon, mais pourquoi, alors? ». Il est vrai que le discours consistant à expliquer que les employeurs recruteront davantage, dès lors qu’ils pourront plus facilement licencier, ne semble une évidence qu’à certains éditorialistes péremptoires ou aux porte-parole du MEDEF, quand ce ne sont pas les mêmes. Pourquoi, donc, ces ordonnances? Parce que les syndicats patronaux trouvent que c’est une bonne idée, punto, basta. Et puis « c’était dans le programme d’Emmanuel Macron », alors camembert. C’est un fait, et le gouvernement et ses soutiens pourraient légitimement reprendre à leur compte ces mots de Michel Audiard dans la bouche de Jean Gabin (« Le Président », Henri Verneuil, 1961): « C’est une habitude bien française que de confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d’en user. » Simplicité, archi-lisibilité d’une action de la « France Insoumise » qui, précisément, se résume à contester le droit d’Emmanuel Macron à « user de son mandat », en parlant d’un « coup d’Etat social ». A le contester par des manifs et des grèves – que l’on ne saurait déclencher (il est fini, le temps d’une CGT « courroie de transmission » d’un Parti Communiste tout-puissant) – mais qu’on soutiendra bruyamment. Ainsi a-t’on mis en scène un « déferlement du peuple » à Paris – 30 000 personnes, selon la police, allons, mettons 60 000, mais quand même… Cependant se raconter qu’on fait nombre, se compter, dans le monde réel ou les réseaux sociaux, c’est déjà ça, ça permet de donner à voir l’exclusivité d’une opposition à un pouvoir qui, lui non plus, ne souffre pas l’idée d’une alternative dans son champ d’action – les « réformes nécessaires ».
Garder l’exclusivité, donc: la perpétuation du sytème Macrenchon passe également, c’est vital, par la maîtrise de l’art de la « communication » et par son corollaire, une méfiance caractérisée, quand ce n’est pas une franche hostilité, envers les médias, dès lors qu’ils ne se contentent pas de servir les messages pré-cuisinés par les uns et les autres. Si, si, les ordonnances ont bien été conçues « en concertation » avec les partenaires sociaux (« Nous avons concerté », a affirmé véhémentement le Premier Ministre Edouard Philippe sur France Inter le 29 Août, ce qui prouve au passage qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser la langue française pour accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat) et témoignent d’un sincère souci des droits des salariés. Non, non, la sympathie qu’affichent les « Insoumis » pour les gardiens des ruines du régime Chaviste au Venezuela ne saurait amener quiconque à questionner leurs convictions démocratiques et non, non, Mélenchon n’est pas un « leader ». Que l’on défende Jupiter ou l’auto-proclamé porte-parole des mortels, l' »élément de langage » se pratique à grande échelle et l’on met tout en oeuvre pour qu’il soit filtré le moins possible par des journalistes un peu consciencieux – plan média millimétré et interviews au compte-gouttes d’un côté, Youtube et, bientôt, chaîne TV sur Internet, de l’autre.
Il est évident que le vide politique abyssal entre le pouvoir et la « France Insoumise » finira bien un jour par se combler, n’en déplaise à la foule bêlante du « en même temps » et aux cohortes du « socialisme dans un seul pays ». Mais ça va prendre du temps, beaucoup de temps. D’ici là, le système Macrenchon va tourner à plein régime. Et l’aiguille du déconnomètre n’a pas fini de s’affoler.
See you, guys
Ouais.. moi je suis peut etre trop simpliste pour ton élévation de vue mais en attendant je vois un gouvernement qui defend les intérêts du MEDEF et un mouvement bien seul qui tente de s y opposer et d empêcher les français de basculer dans un modèle ultra-liberal.
Alors loin des finasseries je me demande ce que nous attendons pour nous revolter au lieu de perdre notre temps à critiquer l ego de Melenchon.
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