Vous vous souvenez sûrement du dessin animé de la Warner où, de façon récurrente, un coyote essayait vainement d’attraper une espèce de volatile courant à une vitesse incroyable. Le premier se prenait systématiquement les pieds dans ses propres pièges, pièges que le second évitait en général sans même s’en rendre compte. D’un épisode à l’autre, il y avait toujours un moment où, inévitablement, le coyote se retrouvait à courir dans le vide durant quelques secondes, avant d’aller s’écraser au fond d’un ravin.
Cela fait maintenant cinq mois que le paysage politique français a été mis cul par-dessus tête avec l’élection d’Emmanuel Macron à la magistrature suprême: dans la foulée de l’élection présidentielle a surgi à l’Assemblée Nationale une majorité « La République en Marche » aux proportions zaïroises, reléguant Droite et Gauche parlementaires à des rôles de figuration. Phénomène concomitant: du « vieux » monde politique ne subsiste véritablement qu’un Jean-Luc Mélenchon, dont le statut jusque là incontesté d’opposant en chef conforte la quasi-hégémonie politique de ce qu’il faut bien appeler, faute de mieux, le macronisme.
Dès lors il est tentant de voir dans le parcours d’Emmanuel Macron celui de ce « road-runner » dont rien ne peut arrêter la course. On est sceptique quant à son aptitude à mener une campagne présidentielle? « Bip-bip », et que je te trouve des financements, et que je t’organise une armée de « helpers » prenant d’assaut cages d’escalier, marchés du dimanche et réseaux sociaux. On rappelle jusqu’à l’écoeurement son passé de banquier d’affaires, on souligne son côté « candidat de la Finance »? « Bip-bip », et que je botte en touche en parlant « aux vrais gens » (l’épisode Whirlpool), sur-jouant le côté « pas-fier-avec-l’ouvrier », et en en faisant des tonnes sur le côté innovation/start-up (tellement plus sexy que le CAC 40). On prédit une majorité introuvable aux législatives? « Bip-bip », voilà mes trois-cent-huit député-e-s, tous et toutes dûment « briefé-e-s », le petit doigt sur la couture du pantalon ou du tailleur. On se dit qu’un Bayrou blanchi sous le (Bé-)harnais va bien vite jouer les vice-présidents? « Bip-bip », une affaire d’emplois fictifs renvoie opportunément le vieux sage dans sa bonne ville de Pau. On subodore que le « jeunot » n’aura pas les épaules face aux grands de ce monde? « Bip-bip », et que je te broie la paluche du grand méchant Trump, et que je te balance en public ses quatre vérités au tsar de toutes les Russies, et que je te caresse Angela Merkel dans le sens du sérieux budgétaire, et que je te tance les mauvais Européens de Pologne ou de Roumanie. Alors bien sûr il y a des sondages en berne et de grosses manifs qui se préparent. Mais bon, a priori, pas de quoi arrêter l’élan des initiatives gouvernementales, « bip-bip », cause toujours.
D’un autre côté (« en même temps »), restant dans la métaphore « Looney Tunes », on peut aussi considérer que l’action du désormais Président ressemble aux initiatives du Coyote, cherchant vainement par tous les moyens à capter l’affection d’un électorat plus que volatil ou, en d’autres termes, d’une véritable majorité dans l’opinion, en vue de sa ré-élection. Car une telle majorité, nonobstant son score de second tour et le succès de ses candidats, lui échappe telle le « road runner »: même si ça n’ôte rien à sa légitimité ni à celle de ses partisans élus, ces élections ont connu des taux d’abstention record. « Bip-bip, tu m’auras pas », lui ont dit nombre d’électeurs. Et on peut se demander si ce Président « en marche » n’est pas en train de faire de grandes enjambées au-dessus du vide. Tel le Coyote, lui et ses thuriféraires ne s’en apercevraient pas encore, mais qu’ils jettent seulement un regard sous leurs pieds et vlan, ça serait la chute inévitable. Ainsi, de réformes impopulaires en petits arrangements avec l’éthique (affaires Richard Ferrand ou Muriel Pénicaud), de boulettes (les « fainéants » qui ont l’heur de déplaire à « Jupiter ») en constat d’impuissance (doigt d’honneur du gouvernement polonais en réponse aux admonestations sur les travailleurs détachés) et, surtout, face à l’évidence d’une politique économique et environnementale calée sur l’agenda de tous les lobbies patronaux et sans aucun effet sur le chômage de masse, la « bienveillance » ou l’indifférence d’une partie grandissante de l’opinion pourrait se muer en votes violemment contraires, et ce dès avant 2022.
Alors, Emmanuel Macron, plutôt Bip-bip ou plutôt Coyote? Difficile à dire aujourd’hui, et difficile par ailleurs de ne pas imaginer qu’il ne passe plusieurs fois de l’un à l’autre dans les mois et années qui viennent. Et puis franchement, on s’en tape un peu en regard d’une réalité bien plus grave: si le paysage politique en France ressemble à coup sûr à quelque chose, c’est bien au désert dans lequel évoluent les deux personnages du dessin animé. En cause, bien évidemment, tout à la fois l’inexcusable fiasco de la présidence Hollande (lire ici-même Flanby le Destructeur) et l’insondable nullité d’une Droite comptant davantage de chefs que d’Indiens. Mais aussi un parfum de « dégagisme » qui s’est emparé de l’électorat et, poule et oeuf, des médias dominants – médias par ailleurs subjugués par le « renouveau » Macronien et l’habileté d’un Mélenchon. Au final ces deux-là s’auto-suffisent, Janus bi-fons d’un spectacle politique caricatural – un spectacle bruyant mais creux, un débat sur-codifié entre tenants des « réformes nécessaires » et partisans d’un « autre monde possible » pourvu qu’il reste hexagonal quoique bolivarien.
Le cycle électoral de 2017 a effacé du paysage nombre de suffisants, d’inutiles et de prétentieux. Mais il n’est pas sûr qu’on n’aie pas jeté le bébé avec l’eau du bain, nous laissant dans un grand vide politique, même si ce vide ne saurait être que temporaire: dans ce désert fleurira peut-être un jour un vrai projet social-démocrate européen, décentralisateur, indépendant de l’oligarchie ENArco-patronale, on peut rêver. En revanche il est certain que ce désert verra pousser un bon gros cactus: la prévisible convergence d’une droite « dé-complexée » et d’un Front National « modernisé » que n’arrêteront ni les « réformes » Macroniennes ni les gesticulations des « Insoumis ».
En attendant, « Bip bip », et tombe le Coyote.