A partir de là, on comprend mieux le développement récent du « débat » sur l’ouverture des magasins le dimanche.
- Ca va créer des emplois
- Ca correspond à une demande des consommateurs
Laurent Fabius ne nous dit pas autre chose à propos des touristes. C’est un peu plus capillo-tracté, nonobstant sa calvitie, mais c’est la même rengaine: le touriste, contrairement aux apparences, ne vient pas visiter la France pour se détendre, aller à la plage ou en montagne, ou bien visiter des monuments, se cultiver dans un musée. Que nenni: il vient pour ACHETER. Et donc prenez un Chinois qui s’est tapé douze ou quinze heures d’avion pour atterrir un samedi, mettons à Toulouse, et bien le dimanche il n’a qu’une envie: aller faire des courses au « Carrefour » de Portet-sur-Garonne ou dans un « Gap » de centre-ville. Et là, flûte de flûte, pas possible, c’est fermé. Furieux, il reprend le premier avion dès le lundi.
Sauf que toute création nette d’emplois par l’addition généralisée d’un jour d’ouverture par semaine suppose, en toute logique, une progression, nette également, du chiffre d’affaires de l’ensemble des commerces de détail. Accroissement lui-même soutenu par une croissance des dépenses des ménages hors logement, transports, énergie, équipements durables, donc, de fait, une progression du pouvoir d’achat desdits ménages. Or il sera difficile de faire croire à quiconque que les fameuses nouvelles créations d’emploi dans le commerce de détail vont, à elles seules, générer ce surcroît de pouvoir d’achat. Ne serait-ce que si on considère les salaires octroyés dans la distribution.
Derrière cette offensive au nom de la création d’emplois et de la satisfaction d’une demande, l’une et l’autre franchement hypothétiques, il y a une réalité triviale: la grande distribution est confrontée, on l’a vu, à une baisse sensible de son chiffre d’affaires. Or, lorsqu’on s’appelle Carrefour ou Auchan et qu’on entend enregistrer de la croissance (et, comme tout un chacun, engraisser ses actionnaires chaque année un peu plus), il n’y a que deux solutions: soit augmenter le nombre des points de vente, soit augmenter le chiffre d’affaires par point de vente. La première solution est quasiment exclue, compte tenu de la saturation du territoire en termes de grandes surfaces commerciales. Reste la seconde qui demande, à nombre de jours d’ouverture constant, énormément d’imagination, d’investissements et, souvent, de temps (ré-agencement des magasins, diversification ou équilibrage de l’assortiment et, bien sûr, baisse des prix pour gagner sur les volumes) pour, au final, des gains relativement marginaux. Ouvrir un jour de plus, par contre, là c’est bingo, direct. Bingo, oui, mais pour Auchan, Leclerc, Carrefour, etc… pris individuellement. Car l’évolution du pouvoir d’achat étant ce qu’elle est, l’ouverture le dimanche opérera un déplacement dans le temps et l’espace du chiffre d’affaires de l’ensemble des acteurs, pas son accroissement net.
Autrement dit: chaque enseigne espère, dans son coin, faire mieux que les petits copains sur le nouveau « segment » du dimanche, qui par sa politique de prix et d’assortiment, qui par ses implantations dans des zones de chalandise plus profitables. Et donc accroître sa part d’un gâteau qui, au mieux, gardera la même taille. Au passage, ce jour d’ouverture supplémentaire accroîtra le rendement des actifs des distributeurs (immobilier, terrains), ce qui leur permettra d’afficher de meilleurs ratios de gestion. Et donc de ravir leurs banquiers.
Et le collectif, dans tout ça? Pas grand-chose sinon, bien sûr, un jour supplémentaire par semaine durant lequel circuleront camions et camionnettes de livraison, un jour supplémentaire durant lequel seront amenés à travailler les fournisseurs des distributeurs (sur la base du « volontariat », n’en doutons pas) – le tout, là encore, dans la perspective de conquête de parts de marché, un jeu à somme nulle. Enfin, un jour supplémentaire pour consommer ou travailler, plutôt que s’amuser, réfléchir ou échanger entre humains.
Par ailleurs: lorsque le gouvernement français a baissé sa culotte devant les vociférations des « bonnets rouges » (voir ici-même) on a cru y déceler le terme d’un affrontement entre des « technocrates parisiens » et des petits transporteurs, des artisans et des paysans, bref une « Bretagne qui se lève tôt ». On aurait dû plutôt y voir le triomphe d’un « business model » cher à la grande distribution: exiger des fournisseurs, pour pas un rond, de se faire livrer n’importe quoi, n’importe où, et le plus vite possible. Forcément, seul le transport routier permet ce genre de gymnastique. Et forcément, le fournisseur en question et son transporteur, l' »écotaxe », ils sont contre: ils brûlent des portiques, bien obligés. Mais contester ensemble les exigences exorbitantes de « m’sieu not’ bon maître », Michel-Edouard Leclerc ou un autre, non mais ça va pas, la tête?
Enterrement de l' »écotaxe », ouverture des magasins le dimanche: les épiciers en rêvaient, la droite aurait à peine osé, la gauche l’a fait. Elle est pas belle, la vie?
A bientôt
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Si rien ne bouge – Février 2008