Reprenons, dans l’ordre. La « compétitivité » d’une entreprise, c’est sa capacité à être viable dans un environnement concurrentiel. Etre viable, c’est à dire vendre des produits ou services en dégageant suffisamment de profit pour payer ses salariés, ses fournisseurs, rémunérer ses actionnaires et investir pour garantir sa pérennité à moyen et long terme. Chaque année davantage, mieux, plus vite et avec plus d’efficience que ses concurrents. Voilà pour les « choses ». Cela étant, les entreprises ne sont pas situées dans les limbes d’un monde parallèle et sont parties prenantes d’un truc qu’on appelle au choix « pays », « nation », « société », lui même éventuellement encastré dans une aire civilisationnelle comme l’Union Européenne, le tout marqué par l’Histoire. Du coup, de même que les individus, il a longtemps été admis qu’une partie des richesses qu’elles peuvent dégager doivent servir au bien commun – impôts, charges. Mais l’économie s’étant mondialisée depuis trente ans, des mots comme « environnement concurrentiel » renvoient désormais à des « choses » potentiellement multiformes, en tout cas toujours changeantes. Et, d’autres mots aidant, généralement anglais comme « business-friendly » ou « free trade », la notion de « compétitivité » s’est, lentement mais sûrement, de plus en plus opposée aux exigences de participation à la richesse commune. En tout cas dans le discours, implicite ou explicite, des représentants du monde patronal, épaulés par des armées de « penseurs », d’éditorialistes de tout poil, sans oublier certains politiques. Bref, « restaurer la compétitivité », ce sont des mots qui, s’ils nous rapprochent d’une chose concrète comme le profit, peuvent nous éloigner d’une autre, tout aussi concrète: l’enracinement local, national, régional des entreprises et leur capacité à « faire société » c’est-à-dire du lien humain, concrétisée par la part de leurs richesses qu’elles consacrent à des (infra-, super-) structures communes.
Message reçu cinq sur cinq au sommet de l’Etat. Seulement de « pacte », point. Pour faire un pacte, c’est comme pour l’amour ou la guerre, il faut être deux. Or il n’a pas fallu trop longtemps avant que des voix ne se fassent entendre, du côté du monde de l’entreprise, pour dire que « Oulà, attention, faut voir à voir, on ne peut s’engager sur rien ». Le journal « les Echos », dès mercredi, expliquait même doctement que cet allègement de charges serait très vraisemblablement affecté, par la plupart des entreprises, à l’amélioration de leur trésorerie – ce qui ne devrait pas manquer d’enchanter leurs banquiers – « dans un premier temps », bien sûr…
Faudrait-il pour autant hurler à la trahison et pointer du doigt un manque criant de « responsabilité »? Même pas: le remplissage des carnets de commandes ne se décrète pas… En revanche on notera qu’en l’espèce la nouvelle « doctrine » présidentielle relève au mieux du fourrage de doigt dans l’oeil, au pire du foutage de gueule. Car ce fameux « socialisme de l’offre » (l’expression est de Laurent Joffrin du « Nouvel Obs », elle sonne à peu près aussi juste que « capitalisme du partage » ou « communisme de la liberté »), qu’on nous vend désormais comme la quintessence de la social-démocratie à la française, n’est rien d’autre que l’adhésion résignée au discours du lobby patronal. Franco-français, de surcroît. Embrasser ce discours, c’est se payer de mots – comme « Pacte de Responsabilité » – et ne pas voir que ces mots sont à des années-lumière de la réalité, c’est confondre le slogan d’un groupe d’intérêts particuliers (en gros, le CAC 40) avec un levier macro-économique.
Anecdote: quelques jours avant la conférence présidentielle, on apprenait que l’Etat allait « investir » rien moins qu’un milliard d’Euros pour « moderniser le Rafale ». Car figurez-vous que le « meilleur avion de combat du monde » est obsolète: il n’est pas compatible avec les nouveaux systèmes d’armes développés par Thalès – entreprise dont Dassault est actionnaire à 29,55%. Il est sympa, le contribuable. Il « investit » dans une entreprise infoutue, depuis quarante ans, de développer les bons produits aux bons prix pour les bons marchés, par ailleurs dépassée par la technologie d’entreprises dont elle est partenaire. Pour quel « retour sur investissement »? Des emplois, ne serait-ce que sous la forme d’absence de licenciements? Combien, exactement? C’est difficile à dire, non? Ah putain c’est pas simple, le « socialisme de l’offre »… En tout cas, Dassault Aviation bénéficiera, comme les copains, de l’exonération des charges familiales. Nul doute que sa « compétitivité » en sera « restaurée »… A défaut de restaurer les neurones de ses dirigeants.
Alors, « les mots nous éloignent-ils des choses? ». Ben oui, ça arrive assez souvent. Surtout lorsque ceux qui les prononcent s’éloignent de ceux qui, a priori, sont disposés à les écouter. Comme François Hollande avec les gens de gauche.
See you, guys
Merci Riwal…. Je n'aurais pas dit mieux!
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En vous lisant, je ne peux m'empêcher de penser à ça :
http://www.youtube.com/watch?v=g1y8XTTTzqs
et d'y rajouter
« d'être de gôche » !
ps : (re)lire le numéro d'Eléments : La gauche contre le socialisme.
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« Eléments », figure-toi qu'il m'est arrivé de le lire par le passé…. Avec le recul, je ne vois pas en quoi l'opinion de ses rédacteurs ferait autorité en matière de « socialisme » – sauf, peut-être, dans sa version « national-« . Il y a que la pensée de Georges Sorel est morte avec les illusions d'un Marcel Déat ou d'un Jacques Doriot: game over.
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